Vendredi 8 août 1879

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-08-08 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-08-08 pages 2-3.jpg


Launay 8 Août 1879

Mon Père chéri,

Mon petit bonjour d’hier ne comptait pas aussi je veux aujourd’hui venir un peu plus sérieusement auprès de toi quoique nous n’ayons rien fait d’important à te raconter depuis qu’Emilie[1] t’a écrit. Nous jouissons beaucoup d’être à Launay on sent qu’on est à la vraie campagne, l’air est délicieux, on respire toutes sortes de bons parfums de fleurs et de sapins, et on a tout autour de soi un calme qui repose, sauf le chant des petits oiseaux on n’entend aucun bruit, mais quand nous sommes réunis par exemple ce grand silence ne dure pas longtemps et il ne faut pas grand chose pour amener les fous rires. Hier après avoir fait tous notre correspondance nous avons déjeuné et je t’assure que ce repas a été bien accueilli par tous les jeunes estomacs car tous les enfants[2] ont des appétits dévorants, moi en tête je donne l’élan.

Aussitôt après être sortis (ce petit Jean qui m’oblige à mettre mon participe au masculin !) de table nous avons été avec nos ouvrages nous installer sous le champignon ; à 2h moins ¼ nous avons été sur la grand’route voir si nous n’apercevions pas oncle[3] quoiqu’il nous ait dit qu’il ne pourrait arriver qu’à 8h du soir mais malgré plusieurs émotions causées par des braves gens qui passaient sur la route nous n’avons rien vu venir ; nous avons donc repris notre travail et cette fois en nous installant sur le bord du bassin.
A 4h Marthe et Emilie ont lavé le chien[4] pour qu’il soit digne de revoir son maître et cela n’a pas été une petite opération car Krab qui ne prend pas ces demoiselles fort au sérieux traitait tout de jeu et quand elles étaient sur le point de le saisir il faisait un petit tour de côté et se sauvait en courant pour revenir bientôt les provoquer de nouveau ; heureusement qu’elles ont beaucoup de patience et qu’ à force de ruse elles sont arrivées à lui faire une robe à peu près blanche. Elles venaient de rentrer lorsque du bord de l’eau nous entendons un coup de sifflet bien connu, Krab s’élance comme un fou et nous apercevons oncle ! qui avait pris un train plus tôt dont nous ne connaissions pas l’existence et qui venait dîner avec nous. Juge de notre joie ! Si le déjeuner avait été gai que dire du dîner quand oncle est là il n’y a pas moyen de se pas s’amuser ; nous n’avons fait que rire du commencement à la fin ; le soir nous sommes retournés dans le jardin et nous avons fait une partie de cachette monstre avec oncle à laquelle oncle se mêlait bien entendu et qui a été des plus divertissantes. Nous sommes remontés à 8h1/2 n’en pouvant plus et nous n’avons pas tardé à aller trouver nos lits qui nous ont paru délicieux. Ce matin à 6h Emilie a fait lever toute la chambrée des filles, nous avons fait nos lits, puis à 7h nous avons tous pris le chemin de la butte et nous sommes restés longtemps assis à la Juppa où oncle nous a lu ; la vue était charmante et la température très agréable ; depuis que nous sommes ici nous n’avons plus du tout de grandes chaleurs on met même les vêtements de laine avec plaisir, c’est juste un bon temps pour se promener et jouir de la campagne.
Bonne-maman[5] va bien et marche étonnement. Jean, lui, est fou de la pêche et nous admirons sa persévérance car il passe sa journée entière à contempler le bout de sa ligne pour retirer toutes les 2 ou 3 heures un modeste petit goujon.

Enfin chacun prend son plaisir où il le trouve. Adieu, mon Père chéri, merci un million de fois pour ta lettre qui nous est arrivée hier pendant le déjeuner et qui nous a fait tant de plaisir, si tu savais comme on aime à les voir ces lettres !
Pardon de tout ce que je te dis, cela ne vaudrait certes pas la peine d’être mentionné mais si j’attendais les grandes nouvelles pour t’écrire je crois que ma plume se rouillerait.
Je t’embrasse de tout mon cœur, comme je t’aime, mon Père chéri.
Marie

Bon-papa[6] arrive demain soir, Samedi.


Notes

  1. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Marie Mertzdorff, sa sœur Emilie, Marthe Pavet de Courteille et Jean Dumas.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Krab, le chien d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  6. Jules Desnoyers.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 8 août 1879. Lettre de Marie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_8_ao%C3%BBt_1879&oldid=36097 (accédée le 15 novembre 2024).

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