Vendredi 4 février 1876 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1876-02-04 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-02-04 pages 2-3.jpg


Paris le 4 Février 1876

Mon Père chéri,

Il est dit décidément que je ne t’écrirai jamais de la maison j’ai travaillé jusqu’au moment de partir et maintenant je suis chez Jean[1], Emilie[2] joue au jeu d’oie avec lui (car il a encore passé sa journée au lit) et moi n’ayant rien à faire pendant que tante[3] cause avec tante Cécile[4], je viens causer un peu avec toi, mon petit papa chéri.

Emilie a reçu ce matin ta lettre ; que tu es gentil mon bon petit père il n’y a que toi pour écrire de petites lettres comme celle-là, une des tiennes en vaut bien 12 des nôtres. Je vois que tu nous suivais Mercredi et bien je t’assure que nous nous amusions fameusement ; c’était un vrai bal. Mme Arnould[5] nous a joué un quadrille et une polka mazurka que M. Fischer[6] nou a dansé un peu avec chacun de nous pour bien nous apprendre à nous [tenir] & puis ensuite nous avons repris notre pas de valse à 3 temps et nous nous sommes mis à la tourner chacun pour nous et assez vite ; mais je t’assure que bientôt les rangs se sont éclaircis ; de nombreux étourdis se précipitaient sur le canapé et les fauteuils et finalement il n’est resté au milieu du salon que les deux intrépides Emilie et Paulette[7] qui continuaient à tourbillonner toutes seules tu les reconnais bien là les petites enragées je t’assure que nous avons bien ri.

Il faut maintenant que je te parle de nos débauches d’hier nous avons été encore au spectacle mais rassure-toi, un spectacle de jour à 1h1/2 à l’école Bossuet[8] où sont les frères d’Henriette[9] et où l’on jouait une comédie au profit des pauvres et en l’honneur de la saint Charlemagne. Nous y étions avec toutes nos amies il y avait énormément de monde et une quantité de personnes de connaissance, d’abord nous étions très mal placées et ne voyons rien, tante et Mme Baudrillart[10] parlaient déjà de nous en aller, mais comme cela ne nous allait pas nous avons fait de grands efforts et avons fini par trouver de bonnes places où seulement il n’y avait pas de quoi s’asseoir mais pourvu que nous voyons cela nous était bien égal nous nous sommes parfaitement amusées ; les deux pièces que nous avons vues, M. de Pourceaugnac[11] et la Cagnotte[12] n’étaient pas mal jouées du tout et elles nous ont bien fait rire je t’assure, la dernière surtout.

Avant de venir ici nous avons passé au Luxembourg demander si en effet ce n’était qu’à 17 ans que l’on pouvait se faire inscrire[13], mais on nous a répondu que rien n’était changé et que c’était 16 ans comme de coutume. tante a montré aussi mon acte de naissance et on nous a répondu qu’il passerait bien comme cela puisque j’étais alsacienne sans quoi je me figure que les vraies allemandes doivent avoir de vraies difficultés. Nous irons donc nous faire inscrire Marthe[14] et moi Mercredi 10 avant le cours tu vois que cela devient sérieux.

Ce matin nous avons eu Mme [Perrerat] Lima[15] qui nous a chargées de te remercier mille et mille fois pour son paquet elle a déjà reçu une lettre accusant réception, Lisette ist entzückt[16] nous a-t-elle dit. Pauvre Lisette il ne lui faut pas grand-chose car avec ces 2 mètres de flanelle assez commune il n’y a pas de quoi être bien entzückt.

Ce pauvre oncle[17] passe en ce moment une grande partie de son temps en inspections de pharmaciens ce qui l’ennuie considérablement, ce matin il n’a même pas déjeuné avec nous. J’ai commencé hier mes leçons d’écriture je pense que comme cela je fa vais marcher, cette dame[18] me paraît très-bien et je crois qu’elle me fera faire des progrès ce qu’il faut du reste car je t’avouerai que cela me vexerait bien d’être refusée pour l’écriture.

Adieu, mon petit père chéri, me voilà au bout de mes nouvelles et de mon papier je t’embrasse de tout mon cœur et te prie de distribuer toutes mes amitiés à bon-papa et bonne-maman[19].

Ta fille qui t’aime

Marie Mertzdorff


Notes

  1. Jean Dumas.
  2. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  4. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  5. Paule Baltard, épouse d’Edmond Arnould.
  6. Emile Fischer, professeur de danse.
  7. Paule Arnould.
  8. Ecole privée catholique dans le quartier Saint-Sulpice à Paris.
  9. Henriette Baudrillart, sœur d'Alfred et André Baudrillart.
  10. Félicité Silvestre de Sacy, épouse d’Henri Baudrillart.
  11. Monsieur de Pourceaugnac, comédie-ballet de Molière, créée en 1669.
  12. La Cagnotte, pièce d’Eugène Labiche (1815-1888), créée en 1864.
  13. Inscription pour passer un examen.
  14. Marthe Tourasse.
  15. Madame Lima (ou Pereira-Lima ?).
  16. « Lisette est enchantée ».
  17. Alphonse Milne-Edwards.
  18. "Mme Régnier", possiblement Marie Louise Claire Delasalle, épouse d'Adolphe Regnier jeune.
  19. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 4 février 1876 (A). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_4_f%C3%A9vrier_1876_(A)&oldid=59985 (accédée le 18 décembre 2024).

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