Vendredi 30 avril 1880 (B)
Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
30 Avril 1880
Mon cher Papa
J’ai reçu ce matin une bonne lettre de Marie[1] qui me dit en avoir reçu une de toi, et qui me donne des nouvelles satisfaisantes de notre père chéri. Je suis contente de savoir que tu lui as écrit car je commençais à craindre que ton silence n’indique de la fatigue ; heureusement il n’en est rien et je comprends que tu ne pouvais pas écrire au même moment à Launay et à Paris.
Il fait très froid depuis quelques jours, ce matin nous n’avons que 4° et on a repris avec empressement l’habitude de faire du feu ; j’espère que le mois de Mai sera plus beau et que le soleil se montrera pour faire admirer à Marcel notre beau pays et nos chères montagnes ; ce serait bien agréable si vous pouviez faire quelques promenades en voiture à vous trois, on peut en faire de si jolies tout autour de Vieux-Thann.
Hier nous avons dîné chez M. Villermé[2] avec Mme de Fréville[3], M. et Mme de La Serre[4] et toute la famille d’Arleux[5] et Gosset[6]. Les petits oiseaux voyageurs[7] étaient représentés par une lettre écrite du Houssay Lundi dernier et que M. Villermé avait reçu le matin. Il faut croire que le voyage l’avait bien fatiguée à en juger par le temps qu’elle a mis à l’accomplir, mais pour être un peu paresseuse elle n’en était pas moins aimable. Dans celle que j’ai reçue ce matin, Marie me raconte toute leur petite excursion à Mortagne, à la Trappe et au Houssay. Le temps les a assez favorisés jusqu’au Lundi soir, mais le lendemain il faisait si mauvais qu’au lieu de passer par Le Mans comme ils en avaient l’intention, ils sont revenus directement à Launay, s’arrêtant seulement quelques heures à Chartres pour voir la cathédrale.
Il est arrivé hier un très joli verre d’eau de Vallérysthal pour Marie. Marie Verdelet[8] avait déjà depuis quelque temps annoncé l’arrivée d’un petit souvenir, mais la destinataire se doutait si peu de ce que c’était qu’elle pensait recevoir un ouvrage à l’aiguille.
Il vient d’arriver ici une histoire très singulière mais fort désagréable. Samedi il est venu un homme qui apportait un bénitier et un coffret à bijoux ; il voulait persuader à tante[9] que cela avait été commandé par Marcel et l’adresse portait : M. de Fréville chez Mme Mertzdorff. Tante n’ayant aucune connaissance de cela n’a pas voulu accepter ces objets ni payer la facture de 122 F qu’on lui présentait. Cet homme lui a raconté toute une histoire comme quoi on lui avait dit de se dépêcher beaucoup et que lui et son frère étant deux ouvriers ciseleurs avaient passé les nuits pour achever ce travail. Cependant il n’a pas voulu laisser les objets et a donné son adresse : Leroux 21 rue du Vieux-Colombier. Mardi nous nous sommes aperçus qu’il y a un des petits tableaux qui manque dans le vestibule et nous sommes convaincus que c’est lui qui l’a pris car il avait très mauvaise tournure et personne n’a attendu depuis dans le vestibule. Tante a été 21 rue du Vieux-Colombier où on n’a jamais entendu parler de ce Leroux et hier soir Mme de Fréville nous a raconté qu’il était venu également un homme chez elle, probablement le même, qui apportait l’argenterie qu’il disait aussi être commandée par M. de Fréville, il a donné une autre adresse qui est sans doute aussi fausse que celle-ci et il n’a pas non plus voulu laisser sa marchandise. C’est probablement une industrie pour lui d’aller se présenter ainsi chez les parents des jeunes mariés qui sont en voyage pour essayer d’y payer sa marchandise et d’emporter encore quelque chose par-dessus le marché comme il a fait ici. Tu comprends qu’on est très ennuyé, M. Edwards[10] va aller trouver le commissaire de police, mais il est bien à craindre que cela ne servira pas à grand’ chose et quant au petit tableau, on a perdu tout espoir de le revoir jamais. Adieu mon petit papa que j’aime de tout mon cœur, je t’embrasse bien tendrement.
Ta fille Émilie
Ma pendule marche parfaitement, je l’ai remontée avant-hier non sans une certaine émotion, car j’aurais été bien désolée de la casser, et cela m’est déjà arrivé en montant des pendules trop vite.
Depuis que j’ai ma pendule, je regarde l’heure à chaque instant.
Notes
- ↑ Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville, et sœur d’Émilie.
- ↑ Louis Villermé.
- ↑ Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
- ↑ Louise de Fréville et son époux Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.
- ↑ Possiblement Charles Morel d’Arleux et son épouse Léontine Harduin et Félix Morel d’Arleux et sa seconde épouse Clémentine Bechem.
- ↑ Marie Marguerite Morel d’Arleux et son époux Félix Henri Gosset.
- ↑ Marcel de Fréville et Marie Mertzdorff en voyage de noces.
- ↑ Marie Zaepffel, épouse de René Verdelet, sous-directeur à la Cristallerie de Vallérysthal.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
Notice bibliographique
D'après l'original.
Pour citer cette page
« Vendredi 30 avril 1880 (B). Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_30_avril_1880_(B)&oldid=41393 (accédée le 12 décembre 2024).
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