Vendredi 27 décembre 1918

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé)

original de la lettre 1918-12-27 pages 1-4.jpg original de la lettre 1918-12-27 pages 2-3.jpg


27 Décembre 18

Mon cher Louis,

Ton papa[1] est rentré Mardi soir ayant fait bien des choses, mais ayant eu aussi bien froid, ayant dû faire des courses bien fatigantes et finalement il n’a pas regretté mon absence. Je n’aurais certainement pas pu le suivre ! Il s’est encore arrêté, en revenant, à Belfort pour voir H. Houssin, puis à Dijon, à Montbard, a fait des courses en bicyclette, en auto américaine, est revenu néanmoins si peu fatigué qu’il s’est trouvé tout dispos pour aller à la messe de minuit où je ne l’ai pas accompagné. Je me suis contentée de messes aux Missions et des vêpres aux Bénédictines et, depuis Noël, j’ai pris le parti de garder le logis jusqu’à complète guérison de mon rhume ; j’espère que ce sera chose faite demain. Il fait d’ailleurs un temps si affreux que je me réjouis de ne pas sortir.

Hier nous avons eu la visite de Madeleine Parenty[2], Simone et Marie Louise[3] qu’Henri[4] a ramenées de Douai il y a quelques jours, y étant allé lui-même pour une première séance de la Cour sans savoir qu’il y trouverait sa femme et ses filles. Ils jugent le séjour à Douai si peu confortable qu’ils cherchent à s’installer en appartement meublé à Paris pour quelques mois.

Nous avons eu aussi hier les Parenty Tabacs[5] qui ont déjeuné avec nous ; ils cherchent, eux, un appartement pas meublé mais trouvent les prix de Paris bien amers auprès de la grande maison qu’ils avaient pour rien ! il leur faudra vendre les ¾ de leur mobilier. La retraite est toujours pénible, mais la pauvre Cousine paraît en supporter l’épreuve beaucoup moins bien que son mari.

Une lettre de Laure[6] nous apprend que Max et Cécile[7] ont eu le courage d’aller, accompagnés de Georges Laurent et de Lozingue[8] le menuisier de Mouriez qui emportait un cercueil démonté, à la recherche du pauvre Jean[9]. Grâce au dévouement de Georges ils l’ont trouvé après quelques pénibles tâtonnements et ont pu reprendre sur lui des lettres, ses médailles et quelques petits souvenirs qui seront douloureusement précieux à la pauvre Marguerite[10]. Ils l’ont mis dans le cercueil et ont pu l’enterrer au cimetière militaire de Vauxbuin, à 3 km de Soissons. L’idée que Jean avait été enterré sans cercueil était devenue pour sa pauvre petite femme une préoccupation qui aurait peut-être risqué de tourner à l’idée fixe. Elle est à Hallines et n’en repartira qu’après la naissance[11] attendue fin Janvier.

La chère petite Laure paraît toujours bien courageuse.

Pierre[12] m’a écrit le 16 une lettre un peu démoralisée que je n’ai reçue qu’hier. Je crois qu’il s’ennuie considérablement à Bastogne ! Peut-être n’a-t-il pas une hôtesse[13] aussi charmante que la tienne et des pâtisseries et du vin… sans parler du Kirsch que je ne boirai pas !

Ton papa paraît avoir assez bien digéré son cher dîner. J’espère au moins que Guy[14] l’aura trouvé bon ! Tu vas revenir aussi gourmet que lui. Je n’oserai plus te recevoir. Pourtant Élodie[15] paraît avoir conservé tous ses talents. Je t’ai dit, je crois, qu’elle m’était tombée du ciel pour remplacer les malades.

Guy a annoncé à notre personnel qu’il aurait Pierre comme collaborateur ; on en a un souvenir moins précis que de toi qui parais en avoir laissé là-bas un excellent, on ne le sépare pas bien de Michel[16], mais l’opinion paraît satisfaite.

Je t’embrasse tendrement, cher petit.

Emy

Merci de ta bonne lettre du 21 reçue dès Mardi 24.


Notes

  1. Damas Froissart.
  2. Madeleine Decoster, épouse d’Henri Parenty.
  3. Simone et Marie Louise Parenty.
  4. Henri Parenty.
  5. Louis Joseph Henry Parenty et son épouse Marie Clémentine Rose de Santi.
  6. Laure Froissart, veuve de Jules Legentil.
  7. Maximilien Froissart et son épouse Cécile Dambricourt.
  8. Henri Lozingue, né en 1875 à Mouriez.
  9. Jean Froissart.
  10. Marguerite Dambricourt, veuve de Jean Froissart.
  11. Naissance future de Marie Froissart.
  12. Pierre Froissart, frère de Louis.
  13. Thérèse Audéoud, qui héberge Louis Froissart.
  14. Probablement Guy de Place.
  15. Élodie Lecomte, épouse de Nestor Bricout, employée par les Froissart.
  16. Michel Froissart, frère de Louis et de Pierre.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 27 décembre 1918. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (mobilisé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_27_d%C3%A9cembre_1918&oldid=60822 (accédée le 26 avril 2024).

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