Vendredi 24 novembre 1876

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1876-11-24 pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-11-24 pages 2-3.jpg


Paris le 24 Novembre 1876.

Mon cher Papa,

J’espère que tu me pardonneras mon sal petit griffonnage d’hier sur ma page retournée et qui n’était destiné qu’à te tranquilliser sur mon sort ; aujourd’hui j’ai plus de temps devant moi ce qui étonnerait bien si en ce moment on faisait un tour dans la maison, cependant c’est ainsi ; je suis levée depuis ce matin et installée dans la salle à manger où j’ai du feu et d’où je surveille par la fenêtre toutes les allées et venues auxquelles je ne puis pas prendre ma part ; je vais bien et M. Dewulf[1] qui était venu me voir ce matin n’a pu comme il le dit que m’adresser toutes ses félicitations et sa seule ordonnance a été de me lever de manger et de ne pas me fatiguer c’est comme tu vois facile à observer.

Mais assez parlé de moi un jour comme celui-ci où toute la maison est en bouleversement ; depuis ce matin ce n’est qu’un va-et-vient continuel, les déménageurs emportent tous les meubles, tante[2] les expédie d’ici et ces Mrs[3] les attendent dans le nouvel appartement, tout le monde a déjeuné l’un après l’autre ; j’ai pris part au 1er repas et ai surveillé les autres et je puis te dire que si tante a fort peu mangé oncle au contraire s’en est fort bien acquitté aussi je prétends que quand ce ne serait que pour lui donner de l’appétit un petit déménagement de temps à autre lui ferait beaucoup de bien.

Le temps est superbe point de pluie mais un beau soleil et un petit air frais et piquant juste ce qu’on pouvait souhaiter.
Jusqu’à présent tout à fort bien marché rien de cassé ni d’abîmé et cela va très vite il est midi et on a déjà emporté tous les meubles du grand salon de la bibliothèque du cabinet de M. Edwards et du salon du second maintenant les hommes sont allés déjeuner et avaient amené avec eux une voiture mais ils ne s’en servent pas et portent tout sur leur dos je passe donc mon temps à contempler ce pauvre cheval qui reste là immobile comme une statue et qui a l’air de s’ennuyer fort de son inutilité il est tout à fait comme moi aussi j nous sympathisons beaucoup tous les deux. Je suis réellement bien vexée juste cette semaine où j’aurais peut-être pu rendre quelques petits services à tante, de rester là comme une grande propre à rien soit dans mon lit soit le nez collé contre la fenêtre à regarder faire les autres ou bien encore à compliquer leur besogne par les soins qu’ils me donnent je suis sûre que tu me comprends. Je crois que depuis l’heure de ma naissance il y a eu bien peu de moments où j’ai été bonne à quelque chose mais au contraire pendant toute mon existence j’ai su gêner, préoccuper et donner du mal à tous ceux qui m’entourent ; près de dix-huit ans passés comme cela ne trouves-tu pas que c’est un peu trop ?

Nous devons tous dîner ce soir chez Mme Pavet[4] j’irai de bonne heure afin de faire ma course au soleil et je reviendrai en voiture ; demain c’est Mme Camille[5] qui nous hébergera et après-demain bonne-Maman Trézel[6] tu vois que nous ne sommes pas à plaindre ; Emilie[7] est en haut qui met en caisse tous nos livres elle travaille à force depuis ce matin. Ta chambre est déjà installée dans la nouvelle maison tu ne coucheras donc plus ici quand bien même tu arriverais immédiatement. Au reste nous devons y passer notre dernière nuit aujourd’hui.

Au revoir, mon cher petit Papa je n’ai plus rien à te dire si ce n’est que je t’aime beaucoup beaucoup et tu le sais sans que je te le dise ; il ne me reste donc qu’à t’embrasser bien fort comme je voudrais pouvoir le faire en réalité

ta fille qui n’a pas voulu être malade pour te faire plaisir,
Marie


Notes

  1. Le docteur Louis Joseph Auguste Dewulf.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Alphonse Milne-Edwards (« oncle ») et son père Henri Milne-Edwards (« M. Edwards »).
  4. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  5. Louise Ida Martineau, épouse de Antoine Camille Trézel.
  6. Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
  7. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 24 novembre 1876. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_24_novembre_1876&oldid=35934 (accédée le 14 novembre 2024).

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