Vendredi 15 août 1879 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Launay 15 Août 1879

Mon cher Papa,

Que dirais-tu de la vie que nous menons depuis deux jours ? Je crois que tu l’approuverais fort et que tu serais content de voir comme nous nous amusons et comme nous nous donnons du mouvement, tout cela sans aucune fatigue ; je t’ai écrit avant-hier[1] à la vapeur, aussi tu n’as pas dû y comprendre grand’chose, pauvre père, j’ai couru avec Jean[2] porter cette épître à la diligence puis nous sommes partis tirer de l’arc, après les concours d’adresse nous avons cherché à envoyer nos flèches le plus loin possible, oncle[3] a atteint 100 mètres et moi 80 mètres, c’est très amusant et nous nous y acharnions tant que nous ne nous sommes même pas aperçus qu’il faisait très chaud, après avoir tiré pendant 2 heures nous sommes montés avec bon-papa et bonne-maman[4] par petites étapes à l’Ajoupa et j’ai commencé à coudre mais il faisait si chaud à rester en place que je suis repartie avec oncle nous soit disant pour m’exercer à descendre les pentes escarpées ; nous sommes arrivés dans une allée nouvelle de bon-papa qui, sur un espace de 10 ou 12 mètres, était envahie par d’énormes fougères à emballage, nous avons tiré nos couteaux et bravement nous avons entrepris d’abattre ces géants si malencontreusement placés ; l’opération a été longue et quoiqu’oncle surtout ait fait le plus de besogne je t’assure cependant que j’ai bien travaillé [et] qu’en me voyant tu m’aurais bien louée pour la moisson ; nous sommes revenus d<sup>ans</sup> un état de saleté et de chaleur épouvantable ce qui ne nous a pas empêché de faire après le dîner une partie de colin-maillard.

Tu crois peut-être qu’une journée pareille nous avait fatiguées mais il n’en était rien je ne comprends pas même comment tant d’exercices violents ne nous avaient pas coupé bras et jambes. Le fait est cependant que nous n’avions envie que d’une chose, faire une grande promenade le lendemain dans la forêt de Bellême or tu sais que Bellême est à 20 kilomètres de Launay et que la forêt est encore à ¾ de lieue de la ville ; la voiture de Nogent nous ayant demandé un prix exorbitant nous avons résolu de partir à pied et d’aller sur la route aussi loin que nous pourrions sans fatigue. A 5h donc tante[5] est venue réveiller toute la chambrée et à 6h ¼, oncle, tante, Marthe[6], Emilie[7] et moi étions sur la route, par un temps frais et délicieux, enchantés de nous promener et de partir ainsi à l’aventure. La route n’est qu’une succession de petites collines de sorte qu’on monte et on descend continuellement et cela nous excitait beaucoup car nous voulions toujours monter encore pour voir ce qu’il y avait au-delà ; nous avons si bien marché que nous nous sommes bientôt trouvés à moitié route à 10 kilomètres de la maison ; là les chambres se sont réunies, on a fait observer qu’il nous faudrait le même temps pour aller à Bellême que pour rentrer à Launay et qu’il était impossible que nous ne trouvions pas là-bas quelque coche pour nous ramener et tu devines ce qui a été décidé, la majorité absolue a été pour Bellême et après ce repos d’un quart d’heure nous sommes repartis de notre pied léger pour achever notre étape c’est-à-dire les 2 lieues ½ qui nous restaient et qui ont été enlevées avec enthousiasme.

Arrivés à 11h1/2 nous avons fait un excellent déjeuner à l’auberge de l’étoile, puis une voiture nous a conduits dans la forêt la plus belle qu’on puisse rêver où nous avons stationné quelque temps encore ; c’était charmant et nous t’avons bien regretté petit père, nous oubliions tous que nous avions déjà 5 lieues dans les jambes ; la même voiture nous a ramenés à Launay où nous ne sommes arrivés qu’à 7h du soir. Te dire comme cette promenade nous a amusées serait impossible, tout nous divertissait, la marche, le déjeuner, le retour ; c’est une journée dont nous nous souviendrons.
Ce qu’il y a de plus agréable c’est que ce matin nous ne sentons pas plus de fatigue que si nous avions passé notre journée d’hier tranquillement assis. Nous prétendons que c’est pour nous entraîner[8].

Nous avons été ce matin à la messe de bonne heure, bonne-maman y est en ce moment, oncle [  ]

Oncle partira Dimanche soir comme c’était convenu ; nous devions prendre le même train que lui mais il arrive trop tard, nous ne quitterons donc Launay que Lundi à midi.
Notre intention ensuite est de repartir de Paris Jeudi matin, de voyager toute la journée et d’arriver à Genève ce même Jeudi soir où nous espérons bien retrouver notre papa. Te voilà au courant, mon Père chéri, de nos projets d’avenir, à toi maintenant de nous dire si tu approuves, quand tu pars, à quelle heure nous te rejoindrons.
Une fois réunis à Genève notre intention n’est pas d’y stationner ; nous aimerions s’il continue à faire beau comme maintenant, faire tout de suite notre petit tour du Mont Blanc Chamonix, & car il se pourrait bien qu’après, la pluie ne revienne et nous serions fâchés d’avoir manqué cette petite excursion. Est-ce ton avis ? Ecris-nous ce que tu en penses. Mais j’oubliais de te remercier de ta longue lettre à Emilie qui nous a fait tant de plaisir, je te réponds qu’on lui a fait bon accueil. Adieu mon Papa que j’aime, je t’embrasse de toutes mes forces.
ta petite Marie.


Notes

  1. Voir la lettre du 13 août.
  2. Jean Dumas.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Marthe Pavet de Courteille.
  7. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  8. Entraînement en vue d’un voyage en Suisse.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 15 août 1879 (B). Lettre de Marie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_15_ao%C3%BBt_1879_(B)&oldid=35767 (accédée le 8 novembre 2024).

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