Vendredi 14 et samedi 15 août 1868

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

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Paris 14 Août

Vendredi soir

Mon cher Charles,

Je suis un peu fatiguée de ma journée mais je ne veux pas moins me donner le plaisir de venir la terminer près de toi. Depuis que je suis ici il me semble que je me suis réellement rapprochée de toi, et que le moment approche où de nouveau nous pourrons être ensemble.

Tu connais déjà la première partie de ma journée visite à Mme Auguste[1] &…, voici comment elle s’est terminée : Après déjeuner Maman[2] a bien voulu venir avec moi et mes petites filles[3] ; en sortant nous avons eu la chance de rencontrer une voiture que nous avons conservée, et de cette façon maman n’a pas été fatiguée ; je trouve cette bonne mère mieux, à la condition qu’elle ne marche pas, ce serait facile, mais elle n’est pas toujours raisonnable et en fait souvent trop.

Nous somme passées chez M. Moreau qui était arrivé le matin de la campagne, il a été comme toujours bon et affectueux et enchanté de voir les enfants et la maman il m’a chargée de bien des choses pour toi ; il va très bien.

De là je me nous nous sommes dirigées vers le chemin de fer de Strasbourg. Ma dame à la salle d’Asile[4] demeurant là ; mais à mon grand regret elle est absente encore pour quelques jours je ne pourrai pas la voir. Elle est allée accompagner son mari jusqu’à Toulon c’est un marin.

Le matin j’avais étudié, avec Julien[5], les différentes questions à faire, et pour que ton mal ne soit pas perdu je vais tâcher d’avoir quelques renseignements d’autre côté.

Après cette longue course infructueuse, nous nous sommes rapprochées de la place Vendôme en faisant des commissions utiles. Mais le mauvais moment approchait. Nous sommes montées chez M. Pillette, Emilie s’est placée bravement dans le fauteuil, le dentiste a bien examiné sa petite mâchoire et l’a trouvée en bon état. Est arrivé le tour de Mimi, il l’a regardée et a dit qu’il fallait ôter ces deux petites dents qui ne tiennent plus puisque j’avais déjà voulu plusieurs fois lui prendre l’une d’elles, mais elle s’y était toujours refusée. Quand Mimi a entendu cela voilà un enfant qui se met à pleurer, à crier & à ne plus vouloir ouvrir la bouche, enfin un de ces beaux entêtements bien conditionnés, rien que cela puisqu’on ne l’avait pas touchée et que nous l’assurions qu’elle ne sentirait rien ; ça a duré une heure, j’ai tenu bon, M. Pillette a été très complaisant et à la fin elle a cédé, n’a rien senti du tout, la dent est poussée dessous, et elle a mangé à table beaucoup plus à son aise qu’avec ces 2 dents qui ne tenaient plus. La petite coquine a eu de la peine à avouer qu’elle avait eu tort ; dans la voiture j’en ai pleuré ; cela l’a confondue et, maintenant, elle m’a demandé pardon, a été bien honteuse, et dort de tout son cœur bien plus heureuse. Maman a encore eu la bonté de la fêter, elle lui a donné une petite poupée et l’oncle Julien un beau bouquet. Mais si elle n’avait pas fini par céder, je n’aurais pas permis. En voilà bien long, ce n’est rien de grave, mais tu sais je te conte tout. Je crois que la leçon va profiter pour quelque temps.

Ce soir M. Edwards[6] est venu nous dire que le ministre[7] lui avait donné comme certaine la nomination d’Alphonse[8] au grade de chevalier de la légion d’honneur. On a expédié une dépêche à Villers, mais nous les attendons tous demain soir.

Les rues se pavoisent, l’hôtel de ville est déjà très beau ; tu comprends si tout cela amuse nos fillettes ; elles ont vu défiler rue de Rivoli des régiments revenant de la revue musique en tête & Voilà du beau.

La séance de l’académie[9] a été intéressante, mais je n’ai pas pu profiter du billet que papa[10] m’a offert ; tu vois j’avais d’autres devoirs à remplir ; je suis bien contente d’en avoir fini avec le dentiste.

Demain M. le Maire[11] assistera à la grand messe avec son écharpe que Dieu le bénisse ; nous irons aussi de notre côté dans quelque grande église prier les uns pour les autres. Bonsoir, cher Ami, il est bien l’heure de dormir, mais avant un bon bec,

Toute à toi

Eugénie M.

Dimanche[12] 9 h

Avant d’aller à la grand messe, je viens fermer ma lettre car il faut qu’elle soit mise à la poste avant midi en l’honneur de la fête de l’empereur[13]. Nous avons été réveillé ce matin à 6 h 1/2 par un bon petit orage ce n’est pas bien commencé pour un 15 août pour tous ces braves gens qui viennent voir les illuminations.

Je regrette bien que Mme Brossolet ne soit pas à Paris, car on aimerait profiter de l’expérience des autres en cas présent. Je prierai Aglaé d’aller la trouver à son retour si c’est avant le moment où elle doit venir à Vieux-Thann.

Merci de ta bonne lettre. Que tu me fais plaisir de m’écrire ainsi tous les jours.

Pauvre Oncle Georges[14] c’est inquiétant de le voir ainsi pris et surtout sans appétit.

Ce que tu me dis d’Oscar Scheurer ne m’étonne pas, c’est la délicatesse des républicains et lorsqu’à sa dernière visite il était si aimable en parlant <rames> j’ai trouvé que de ce côté-là il aurait voulu voir et savoir ?

Puisque M. le maire abandonne son poste, il va avoir le plaisir de passer sa journée en famille[15] ; nous penserons à lui.

Nous avons bien dormi, mes petites chéries sont sages, affectueuses, douces ce matin, enfin Mimi a un petit reste de honte qui sied très bien à ses bonnes grosses joues.

Adieu, cher ami, je t’embrasse pour tous, on m’attend

Toute à toi

Eugénie M.

Les Alphonse n’ont pas trouvé où se loger à Villers, ils rentrent à 6 h aujourd’hui.


Notes

  1. Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff.
  4. Mme Brossollet.
  5. Julien Desnoyers.
  6. Henri Milne-Edwards.
  7. Probablement Victor Duruy, ministre de l’Instruction publique depuis 1863.
  8. Alphonse Milne-Edwards ; il est avec son épouse Aglaé Desnoyers en villégiature à Villers-sur-Mer.
  9. L’Académie des inscriptions et belles-lettres.
  10. Jules Desnoyers.
  11. Charles Mertzdorff, maire de Vieux-Thann.
  12. Le 15 août 1868 est un samedi.
  13. Napoléon III.
  14. Georges Heuchel.
  15. Charles Mertzdorff rend visite aux Duméril à Morschwiller.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Vendredi 14 et samedi 15 août 1868. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_14_et_samedi_15_ao%C3%BBt_1868&oldid=60468 (accédée le 28 mars 2024).

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