Vendredi 13 octobre 1876 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1876-10-13 A pages 1-4.jpg original de la lettre 1876-10-13 A pages 2-3.jpg


Paris le 13 Octobre 76

Mon Père chéri,

C’est vraiment bien mal à moi de ne pas t’avoir encore écrit une seule vraie lettre et cependant je t’assure que ce n’est pas faute d’en avoir parlé et d’y avoir pensé mais quoique je ne fasse pas grand-chose le temps passe avec une rapidité effrayante. J’ai repris Mercredi mes leçons de dessin et hier déjà j’ai un peu travaillé ; j’aimerais bien qu’il en soit ainsi chaque jour. Mlle Duponchel[1] a été bien contente de me retrouver et moi aussi ; je crois qu’Emilie[2] t’a dit qu’elle avait passé ses vacances à copier un grand tableau de Lebrun[3] qui se trouve dans l’église Saint-Nicolas[4], nous avons été le voir Mardi dernier et je le trouve vraiment très bien fait ; M. Flandrin[5] en a, paraît-il, été très content je regrette que tu ne l’aies pas vu.

Hier nous avons été au cours je dis nous mais il serait plus vrai de dire seulement Emilie car moi j’y étais en amateur et ai cousu tout le temps cela m’amuse énormément de les écouter et de rire de leurs bêtises sans être obligée de répondre ce sont généralement des choses que nous manquions qu’elles manquent aussi comme cela doit être ennuyeux pour les maîtresses d’expliquer toujours la même chose !

Paule[6] n’est pas encore revenue, on l’attend pour le commencement de la semaine prochaine ; nous avons été avant-hier faire visite à Mme Arnould[7] tout le monde va bien à l’exception de Lucy[8], les garçons[9] ont beaucoup grandi et Edmond a très bonne mine. Mathilde[10] m’a montré les petits dessins qu’elle a faits pendant son voyage à Gavarni et autres et sans que ce soit admirable cela rappelle parfaitement cependant tous ces endroits-là, je voudrais bien pouvoir en faire autant.

L’appartement avance avec une molle lenteur ; les peintres manquent souvent malgré tous les efforts de M. Edwards[11] qui y passe une grande partie de ses journées, on a arraché le papier de la salle à manger et après avoir passé toute la journée d’hier à chercher un remplaçant on a fini par se décider à remplir les panneaux avec de l’étoffe semblable aux rideaux.

Tout le monde s’entend pour me faire de grands compliments sur ma mine je ne vois personne qui ne me dise que je n’ai jamais été aussi bien ; M. Dewulf[12] même, comme Emilie a dû te le dire, a été ravi. Je continue à prendre très consciencieusement mes douches ce qui ne m’amuse que modérément.

Marthe[13] vient d’arriver, cette pauvre fille a un énorme compère-loriot qui lui ferme complètement l’œil et la fait beaucoup souffrir.
On a de bonnes nouvelles de Jean[14], il a tout à fait repris sa bonne mine et s’amuse beaucoup je pense qu’ils reviendront tous Jeudi prochain.
Oncle Alfred[15] est venu nous voir ce matin il avait reçu une lettre de bon-papa[16] qui annonce leur retour pour Lundi ; leur santé est très bonne.

Hier nous avons eu un grand orage ; il fait toujours chaud et il pleut souvent ; en somme c’est un temps très agréable et il serait bien à souhaiter qu’il se maintint ainsi jusqu’à l’époque du déménagement mais qui sait jusqu’à quelle date il faudrait que ce soit, les travaux n’avancent guère et je commence à croire que tu ne perdras pas ton pari qui sait même si tu ne pourrais pas le gagner ?

Hier après le cours nous avons été à Vaugirard voir Jeanne[17] elle est toujours aussi contente et aussi heureuse et les sœurs le sont aussi avec elle.

Adieu, mon bon petit père, il faut que je m’habille pour sortir je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime.
ta fille
Marie

Et tes 6 gilets nous les avons oubliés mon petit papa.


Notes

  1. Marie Louise Duponchel, professeur de dessin.
  2. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  3. Charles Le Brun (1619-1690).
  4. Saint-Nicolas du Chardonnet où l’on peut voir un des tableaux de jeunesse de Charles Le Brun, paroissien puis marguillier de Saint-Nicolas du Chardonnet : Le Martyre de Saint Jean l'Évangéliste à la Porte Latine.
  5. Paul Flandrin.
  6. Paule Arnould.
  7. Paule Baltard, épouse d’Edmond Arnould.
  8. Lucy Arnould, épouse d’Alfred Biver.
  9. Pierre et Edmond (fils) Arnould.
  10. Mathilde Arnould.
  11. Henri Milne-Edwards.
  12. Le docteur Louis Joseph Auguste Dewulf.
  13. Marthe Pavet de Courteille.
  14. Jean Dumas.
  15. Alfred Desnoyers.
  16. Jules Desnoyers et son épouse Jeanne Target sont à Launay.
  17. Jeanne Pavet de Courteille.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Vendredi 13 octobre 1876 (A). Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_13_octobre_1876_(A)&oldid=35745 (accédée le 21 novembre 2024).

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