Vendredi 12 novembre 1875
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 12 9bre 1875.
Mon Père chéri,
Voilà bien bien longtemps que je ne t’ai plus écrit mais comme tu as cependant reçu de nos nouvelles par tante[1] et Emilie[2] j’espère que tu me pardonneras ce silence qui n’est pas tout à fait de ma faute car j’ai beaucoup à faire. Je profite cependant du moment qui me reste avant de sortir pour venir causer un peu avec toi car j’ai bien des choses à te raconter.
Je vais d’apporter d’abord répondre à tes accusations contre ma pauvre sœur vilain petit père en te disant que Mercredi dernier on a seulement donné les divisions et que Mlle Emilie quoique à sa 1re année de 1re a été mise en 1re division avec les anciennes telles que Paule[3], Henriette[4] & celle où j’étais l’année dernière ; est-ce assez beau ? Il faut dire que tante l’avait un peu demandé car elles n’ont pas énormément à faire et dans la 2e divisionelle aur Emilie était sûre dès le 1er jour d’avoir le prix sans se donner la moindre peine tandis que là elle aura à lutter sérieusement et quoiqu’il soit probable qu’elle n’aura le prix elle n’en est pas moins enchantée.
Maintenant que te voilà au courant des succès de ton petit n° 2 je vais passer au n° 1 et je te dirai qu’hier pour la première fois il a assisté aux examens. Voici le récit détaillé de cette intéressante séance qui rassure-toi ne m’a pas trop effrayée.
A midi nous entrions dans Saint Sulpice (malgré un vent qui démolissait toutes les cheminées) car nous y avions rendez-vous avec Marthe Tourasse. Elle s’y trouvait déjà avec sa grand’mère et toutes ensemble nous sommes parties pour le Luxembourg, là nous montons et nous descendons, nous enfilons des corridors puis encore des corridors, et enfin, après bien des recherches infructueuses, nous arrivons dans la salle du sénat superbe pièce couverte de dorures et de peintures qui occupe le dôme de l’édifice et où le N impérial se trouve partout. C’est là à mon avis qu’on a déclaré la dernière guerre.
Elle est divisée en deux par des cloisons en toile et de chaque côté on passe. Nous étions du côté A où Mlle Bosvy est venue nous rejoindre à 12 ½ bien que les examens ne commencent qu’à 1 ½ et encore n’entendions-nous pas bien. Devant nous était un grand espace libre où se trouvaient des tables et un tableau noir enfin à l’heure dite tous ces Messieurs sont arrivés de derrière leur rideau, et 5 malheureuses jeunes filles sont venues s’asseoir devant eux. Le 1er exercice a été celui de la lecture qui ne m’a nullement paru difficile ; puis toutes les jeunes filles, ainsi que les examinateurs, se sont retirés chacun de leur côté (ce qui se fait après chaque faculté afin de savoir si elles ont trop mal répondu ou si elles peuvent continuer), puis chacun a repris sa place, et on les a interrogées sur l’histoire sainte et le catéchisme ; toutes choses fondamentales et faciles desquelles je me serais tirée peut-être mieux même que quelques-unes d’entre elles si je ne comptais pas l’intimidation.
Puis a suivi l’arithmétique, questions assez faciles, ou du moins pas trop difficiles, encore règle d’intérêt, prendre le carré d’un nombre, [quelque] la multiplication & la grammaire non plus ne m’a pas trop effrayée mais c’est l’histoire qui venait en dernier. Figure-toi un vieux petit M. horriblement grinchu vous arrêtant sans cesse, vous embrouillant, puis se moquant de vous passant d’une question à une autre et tu verras M. Toussenel[5] il parlait si bas que nous entendions à peine et son examen a été le plus long de tous, enfin tous ces Messieurs se sont retirés et après quelques minutes d’attente bien longues pour ces malheureuses ils sont sortis appelant les noms et 3 seulement ont été reçues et ont été signer leurs diplômes.
Il y en avait une pauvre petite refusée qui sanglotait si fort en sortant que cela fendait le cœur à tout le monde elle était avec une vieille femme en bonnet et il est probable que pour elle cela était bien utile.
Nous y retournerons demain encore car nous profitons de ce moment ; aujourd’hui nous n’irons pas car nous croyions que Marie Flandrin viendrait et puis ce sont des séances très fatigantes ; comme c’est le gouvernement qui paye, il y fait une chaleur abominable qui faisait que tout le monde avait mal à la tête ; et puis cela vous prend un temps énorme puisqu’il faut être là vers 12 ½ pour avoir de la place et que cela ne finit que vers 4 h ½. J’espère mon bon petit papa que voilà une lettre bien longue pour te dire bien peu de choses, toutes les santés sont bonnes. bonne- maman[6] va toujours à peu près de même et Jeannot[7] se lève toute la journée. Adieu mon petit papa chéri, ou plutôt au revoir, car tu sais que le moment de ton voyage approche. Oh ! quel bonheur de te voir et de t’embrasser !
ta fille qui t’aime
Marie
Notes
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Paule Arnould.
- ↑ Henriette Baudrillart.
- ↑ Théodore Toussenel (1805-1885), inspecteur de l'Académie de Paris et professeur d'histoire au lycée Charlemagne.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jean Dumas.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Vendredi 12 novembre 1875. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_12_novembre_1875&oldid=35737 (accédée le 6 octobre 2024).
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