Vendredi 12 août 1881

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Villers-sur-mer) à sa sœur Émilie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou)


Fs1881-08-12 pages1-4-Marie.jpg Fs1881-08-12 pages2-3-Marie.jpg


Villers 12 Août 81

Au galop, mon Émilie chérie, je viens vous faire ma petite visite accoutumée, depuis ce matin je veux vous écrire et je n’ai pu y arriver ; j’ai eu Jeanne[1] longtemps pendant que Nounou[2] lavait, il n’y a personne maintenant pour l’amuser et la garder et quoique ce soit Maria[3] qui lave et repasse presque tout je l’ai cependant assez souvent avec moi ma Mimi.

La seconde occupation de la matinée a été le raccommodage de mon corset, le neuf ! figure-toi qu’il avait indignement craqué devant, les boutonnières se défaisaient, les boutons partaient && je suis très fâchée de cela mais mon mécontentement n’a pas suffi pour le réparer. Après les déjeuners (puisque les 2 mamans[4] sont aussi retenues pendant les déjeuners des Nounous que pendant le leur) on a décidé qu’on irait se promener, je suis montée faire 2 points (une ruche) à ma chère petite robe de toile, je l’ai mise et nous sommes partis Louise, Roger[5], Marcel[6], les 2 grands[7] et moi après que Jeanne a eu tété ; nous avons fait une promenade charmante dans des chemins détestables, il fallait passer des ruisseaux, on portait les enfants qui prétendaient qu’on allait franchir le Styx, enfin on s’est beaucoup amusé, nous rentons à l’instant je n’ai eu que le temps de donner à dîner à Jeannette qui m’attendait comme d’habitude sans manifester d’impatience, il est 6h je t’écris en poste pour ne pas manquer l’heure.

Que te dirai-je mon Émilie chérie ? Que je t’aime beaucoup ainsi que ma petite tante[8], que je pense à vous sans cesse, que je voudrais vous voir et vous embrasser, tu sais tout cela mais c’est bon cependant de se le répéter de temps en temps. Aimes-tu mieux que je te parle de Jeanne ? voilà encore un sujet dont j’aime bien à m’entretenir, je te dirai donc qu’elle continue à être bien sage et bien gentille, qu’elle a une figure tout à fait hâlée avec des grosses joues rouges, qu’elle rit sans cesse, qu’elle commence à s’amuser un peu d’une petite poupée de caoutchouc que sa bonne-maman[9] lui a donnée, enfin le plus gentil c’est que je crois qu’elle me reconnaît tout à fait par moment ; hier soir j’étais dans sa chambre et elle ne faisait que rire en me regardant puis, aussitôt que je suis sortie elle a commencé à crier très fort. Nounou voyant cela m’a rappelée, quand elle m’a revue la bonne humeur a recommencé, puis de nouveau les larmes à mon départ. Elle a aussi une passion pour son papa, passion du reste qui est plus que partagée de l’autre côté, aussi tous les 2 font-ils de grandes parties. Il y a souvent dans le pré où Nounou se promène une petite fille née le 20 Mars 81, on les compare[10], Marcel est sorti exprès pour arrêter la bonne et voir l’enfant, il dit que Jeanne est au moins aussi grosse et plus ferme. Je n’ai pas osé aller regarder de si près.

Le vent continue, impossible de pêcher ni de s’installer sur la plage, Marcel est désolé - j’espère que pauvre oncle[11] n’a pas ce temps-là quoique les marins et les pêcheurs en barque disent que c’est excellent. Que je voudrais donc que ce pauvre oncle ait terminé ce fatigant voyage.

Hier je me suis promenée avec Marcel, cela a été le seul événement de la journée.

Je t’envoie une bonne lettre de Paulette[12] que j’ai reçue, tu me la renverras. Comme nous sommes bien Duméril[13] !!!

J’ai écrit hier à bonne-maman Méhil[14]. Adieu chérie, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que tante aimée dans oublier Marthe[15].

ta sœur

Marie

Depuis deux jours Louise lit de l’allemand le soir avec Marcel et moi, elle est admirable, figure-toi qu’elle n’a jamais pris une leçon, qu’elle fait travailler ses enfants et qu’elle lit très bien en comprenant presque tout des histoires du chanoine Schmitt[16] ! Ce n’est pas la peine d’avoir des leçons pendant 13 ans !!


Notes

  1. Jeanne de Fréville.
  2. Nounou prénommée probablement Marie.
  3. Maria, domestique.
  4. Marie et sa belle-sœur Louise de Fréville, épouse de Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.
  5. Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.
  6. Marcel de Fréville.
  7. Louis et Étienne Barbier de la Serre.
  8. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  9. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
  10. Jeanne de Fréville est née le 19 mars 1881.
  11. Alphonse Milne-Edwards, qui participe à l'exploration scientifique du Travailleur.
  12. Paule Arnould.
  13. La mère de Marie et Émilie Mertzdorff est née Duméril ; dans cette famille les lettres circulent.
  14. « Bonne-maman Méhil », surnom donné par Marie bébé à sa grand-mère Félicité Duméril.
  15. Marthe Pavet de Courteille.
  16. Christoph von Schmid (1768-1854), auteur de Cent petits contes.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Vendredi 12 août 1881. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Villers-sur-mer) à sa sœur Émilie Mertzdorff (Launay près de Nogent-le-Rotrou) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_12_ao%C3%BBt_1881&oldid=35728 (accédée le 15 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.