Mardi 9 août 1881

De Une correspondance familiale

Lettre de Paule Arnould ( Jonchery-sur-Vesle dans la Marne) à son amie Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Villers-sur-mer)  


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Le Vivier

Par Jonchery-sur-Vesle

Marne

9 Août 1881

Ma Marie chérie,

Votre chère Émilie[1] est presque venue me recevoir ici ; dès le lendemain de notre arrivée, c’est-à-dire avant-hier j’ai reçu d’elle un excellent petit mot. Elle me dit que te voilà installée à Villers, c’est donc là que j’irai te trouver à mon tour, un pays que je connais, tu sais, et où je suis contente de te suivre. Quoique ni maman ni baby[2] ne me semblent avoir besoin de réparer leurs forces, j’espère que l’une et l’autre y consolideront leur bonne santé et prépareront un bon hiver. L’hiver ! sais-tu quelle permission j’ai obtenue pour cet hiver ? hé bien oui, celle que je désirais tant ! aller seule jusque chez toi ! Prends garde ! tu auras peut-être bientôt assez de moi, car ce cher ménage de la rue Cassette où je suis toujours si affectueusement accueillie m’attire plus que tu ne saurais le croire. Ne parle pas de mon émancipation, on la verra.

Tu sais certainement, ma Chérie, quelle suite d’événements émouvants nous venons de traverser. Je savais que, soit par ta Tante[3], soit par Mme de Fréville[4] à laquelle Mathilde[5] a dû écrire, tu serais au courant. Il a fallu cependant que je sois bien pressée pour ne pas venir t’en parler moi-même, mais tout cela s’est succédé si vite au milieu de notre vie d’été déjà si agitée que nous n’avons presque pas eu le temps de nous y reconnaître. Sans parler au mois de Juillet de mon examen et du mariage d’Alfred[6], nous avons eu rien que pour la seconde quinzaine de Juillet le baccalauréat d’Edmond[7], le départ de Mathilde pour La Bourboule, le voyage de la famille Forest[8] à Paris, le baccalauréat de Louis[9], sans compter les voyages à Sceaux, les distributions, les préparatifs de notre départ, etc. Le mariage de Pierre tient au milieu de tout cela une bien grande place ; nous en sommes tous contents parce que nous le désirions et surtout parce que Mlle Alice Forest nous plaît beaucoup. Le genre de sa famille et de la nôtre est tout à fait le même, et nous espérons que malgré ce très grand éloignement (elle est de Saint-Étienne) elle ne sera pas dépaysée au milieu de nous. Elle-même est très simple et très bonne. Nous avons été tout de suite à l’aise ensemble et je crois que nous nous aimerons facilement beaucoup. Il n’y a encore aucune espèce d’époque de fixée pour le mariage qui pourra bien être reculé jusqu’au milieu de l’hiver, car Mme Forest a une très mauvaise santé et sa fille ne voudra probablement pas la quitter avant que l’hiver soit en train.

Les nouvelles que nous avons de Mathilde ne nous satisfont pas complètement ; elle nous semble un peu éprouvée par les eaux ; c’est, j’espère, un effet qui amènera son bien plus tard, mais nous désirons tant une amélioration sensible et rapide que nous avons peine à prendre notre parti de cette fatigue.

Ma petite Marie chérie, tu sais que je serai très heureuse de recevoir un mot de toi, des nouvelles de toi et de ceux qui t’entourent, des détails sur ta petite Jeanne ; mais comme je sais, si ce n’est par expérience, du moins pour l’avoir vu de près quelles sont les mille occupations des mamans surtout lorsqu’elles ne sont pas chez elles, je te demande comme preuve de ton affection de compter si bien sur la mienne que tu ne craignes jamais ce que je penserai de ton silence. Sois tranquille je ne penserai jamais que tu m’oublies ; et si tu ne me réponds pas, tu n’auras comme expiation qu’à me recevoir à Paris une fois de plus !

Au revoir, Amie chérie, charge-toi d’embrasser pour moi si elles le permettent ta belle-mère et ta belle-sœur[10], un affectueux souvenir à ton mari. J’envoie à ma Marie et à ma petite Jeanne mes tendres baisers de vieille amie.

Paulette

Je penserai à toi le 15. J’ai failli retarder ma lettre jusque-là, mais j’ai pensé que pour t’arriver au jour officiel mes vœux n’en seraient pas meilleurs, et il me coûtait un peu de rester encore jusque-là sans communiquer avec toi. Je te souhaite beaucoup de bonheur, ma Marie, et quand je parle de toi au bon Dieu, je lui dis toujours que ta vocation est d’être heureuse. Cela ne t’a jamais rendue égoïste, tu comprends et partages trop bien les peines des autres. Un baiser de plus pour ta fête.


Notes

  1. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville, et sa fille Jeanne de Fréville.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  4. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville et belle-mère de Marie.
  5. Mathilde Arnould.
  6. Alfred Biver, veuf de Lucy Arnould, s'est remarié le 30 juin 1881 avec Marie Rousset.
  7. Edmond Arnould.
  8. Pierre Arnould va épouser Alice Forest, fille de Jean Antoine Forest et d'Agathe Bouvard.
  9. Louis Arnould.
  10. Louise de Fréville, épouse de Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 9 août 1881. Lettre de Paule Arnould ( Jonchery-sur-Vesle dans la Marne) à son amie Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Villers-sur-mer) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_9_ao%C3%BBt_1881&oldid=54119 (accédée le 21 novembre 2024).

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