Vendredi 10 juin 1870 (B)
Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)
d’Auguste
Paris. Vendredi.
Mes chers amis,
Eugénie[1] vous a donné hier de mes nouvelles, et vous savez, par conséquent, que, depuis mardi, qui a été un mauvais jour, par la durée des battements de cœur, de 9 h du matin à 3 h de l’après-midi. Lecointe[2] est venu me voir tous les jours. Elle vous aura dit aussi, je l’espère, que Lecointe, après une exploration très attentive du cœur, malgré la crainte, que lui inspirait un peu ma mine, ou plutôt, mon faciès, c’est-à-dire, l’ensemble de ma physionomie, n’a trouvé aucune lésion organique, et son examen, du lendemain, a confirmé ce premier diagnostic. C’est donc simplement à un état nerveux, qu’il faut attribuer ce trouble, mais je ne m’expliquerai pas ce qui a pu le causer : d’autant plus, qu’il s’y joint un état général, procédant de faiblesse, à ce qu’on dirait d’un défaut de nutrition. Il est vrai que, depuis la nuit du jeudi au vendredi (il y a juste deux semaines aujourd’hui), où j’ai eu cette syncope, que ma femme vous a sans doute racontée, suivie d’un battement de cœur, semblable à celui de mardi, l’appétit m’a presque toujours fait défaut, mais encore une fois, pourquoi ? Voilà ce que je ne m’explique pas plus, que ces troubles nerveux. Peut-être Belin a-t-il attribué, avec raison, ce dérangement de ma santé, à un refroidissement (dont, il est vrai, je ne me serais pas rendu compte), et aurait donné l’explication de l’état muqueux, ou légèrement catarrhal, qui se serait porté, mais sans grande intensité, sur les bronches, sur l’estomac et un peu sur le foie, car j’ai eu, mais très légèrement, un peu de jaunisse.
Quelle que soit la cause de tout cela, toujours est-il que je reste patraque, et que, aujourd’hui encore, quoique ce soit moins fort que les deux premières fois, je suis, depuis 10 heures, et il est midi, avec un petit trouble, dans les mouvements du cœur. Peut-être serait-ce plus fort, si Lecointe ne me faisait prendre des pilules d’Ether et de Valériane, destinées à combattre l’état spasmodique. Je prends du vin de Quinquina, de l’eau de Bussang qui, Léon[3] doit bien le savoir, puisqu’il en boit, contient une très petite quantité d’arsenic. Lecointe me pousse à manger, mais l’appétit, surtout au déjeuner, est presque nul : il est meilleur au dîner. Le soir, je bois deux tasses d’infusion de tilleul et de feuilles d’oranger.
Jusqu’à mardi, les nuits avaient été pénibles, par suite d’interruptions fréquentes de sommeil, dues à des douleurs dans le haut de la poitrine, dues, selon toute probabilité à la même cause, car Lecointe les regarde comme étant de nature asthmatique ; mais, à partir de la nuit de lundi à mardi, je ne les ai plus eues, et mes nuits sont maintenant bien meilleures, et je dirais même que la dernière, a été excellente, si je ne souffrais extrêmement de la chaleur. Depuis 8 h ½, je me tiens dans le jardin, et m’en trouve bien : je lis et travaille un peu, sans me fatiguer, mais je n’ai pas de jambes, et ne puis pas monter chez Adèle[4], sans y arriver tout essoufflé.
3 h ½. Je reprends ma lettre, et j’ai la satisfaction de vous dire qu’un peu de trouble, dans les mouvements du cœur, que j’éprouvais, depuis 10 h du matin, environ, vient de se dissiper, et que je me sens, par conséquent, beaucoup mieux, et, suivant mon usage, alors même que je n’ai pas d’irrégularité dans la circulation, je vais avoir probablement une fin de journée meilleure que le commencement.
Pardon, de vous avoir si longtemps entretenus de mes petites misères, et, je devrais dire aussi, de celles d’Eugénie, car, dans sa tendresse pour moi, elle se met de beaucoup trop de moitié, dans ce que j’éprouve.
Parlons maintenant de notre chère Adèle : elle vient de célébrer le 21eme jour de ses couches par un séjour de 2 h ½, non pas sur une chaise longue, mais ce qui revient presque exactement au même, sur un des grands fauteuils de sa chambre, avec les pieds sur le grand tabouret fainéant, que lui a donné Mme Huet[5]. Comme elle était devant la fenêtre ouverte, mais à une certaine distance, j’ai pu, en me portant un peu vers le fond du jardin, la voir, en même temps qu’elle me voyait, et, à 2 ou 3 reprises, nous avons pu, de la sorte, faire un bout de conversation. Elle paraissait enchantée, et elle est si bien, que je ne doute pas que ce changement de position, autorisé d’ailleurs par Belin, ne lui soit favorable. Pierre, qui commence à se remplir, grâce à un sommeil continu presque, et à son excellente nourrice, vient de passer 2 heures, dans son berceau de Moïse, dans le jardin, pendant que j’avais, autour de moi, Léon[6], qui est un enfant bien attrayant. Marie est restée longtemps auprès de sa mère. Lecointe n’est pas encore venu.
Adieu, mille tendres amitiés.
Eugénie Dufételle vient d’être fort malade, mais va mieux : nous avons su hier, par Lucy[7], que la variole de sa cousine va un peu mieux.
Notes
- ↑ Eugénie Duméril, épouse d’Auguste Duméril.
- ↑ Le docteur Charles Édouard Lecointe.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil ; elle a accouché de son 3e enfant, Pierre, le 21 mai.
- ↑ Probablement Victoire Montoud, veuve de Jean Baptiste Huet II.
- ↑ Léon et Marie Soleil, les aînés de Pierre.
- ↑ Possiblement Lucy Raoul-Duval, épouse de Louis Sautter, parente des Dufételle et des Duméril.
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 600-604)
Pour citer cette page
« Vendredi 10 juin 1870 (B). Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Vendredi_10_juin_1870_(B)&oldid=58793 (accédée le 9 décembre 2024).
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