Septembre 1878 - 1
Lettre de Marthe Pavet de Courteille (Paris) à Marie Mertzdorff (Vieux-Thann) [les pages 1 et 4 sont absentes]
Le soir nous dînions chez bon-papa[1] ; et vers [ ] heures Jeannette[2] arrive apportant une dépêche de Mme Martineau[3] nous prévenant qu’elle arrivait le lendemain matin de bonne heure. Le Un peu plus tard, en rentrant à la maison nous trouvons une 2e dépêche qui venait d’Arcachon et nous prévenait qu’il ne restait plus qu’une villa à louer ; alors mère[4] est repartie immédiatement chez bon-papa pour demander ce qu’il fallait faire et de là au télégraphe envoyer à Mme Devismes une réponse affirmative. Le lendemain à 7h Mme Martineau est arrivée et Mme Ricard n’est venue qu’à 3 heures.
Vendredi nous sommes parties à 9 heures pour déjeuner à Palaiseau il y avait bonne-maman Trézel[5], Mme Martineau, Mme R. et Marthe[6], maman et moi ce qui formait une grande bande. Tante Cécile[7] allait bien et Jean[8] a eu l’air de beaucoup s’amuser avec sa filleule laquelle a déclaré qu’elle aimait beaucoup son parrain.
Dans la journée Mme Mabrun[9] qui allait chez tante depuis 3 jours nous a raconté ce qu’elle avait fait pour venir et son histoire nous a fait rire aux larmes, à ses dépens. Si j’ai le temps j’essaierai de te la redire.
C’est en rentrant après le dîner que j’ai commencé à t’écrire mais comme il est dit que dans ce moment je ne pourrai écrire une lettre entière à la fois j’ai été obligée de m’interrompre et de remettre à ce soir.
Aujourd’hui nous sommes parties vers 11h1/2 pour aller à l’Exposition ; il y avait un monde fou, une poussière atroce et un soleil de Juillet ; nous sommes restées jusqu’à 4 heures nous avons visité l’Exposition le pavillon du Prince de Galles et visité le pavillon du shah de Perse etc. nous avons laissé M. et Mme R. avec Marthe, M. Bidoux, Mme Lequeux[10] et sa fille Elisabeth[11] et Mme M., maman et moi sommes parties. Ces dames et ces messieurs devaient dîner chez Mme [Bauvais] mais en sortant et pendant que nous attendions l’omnibus mère a été prise [ ] de mal de mer on
Voyage de Madame Mabrun pour aller de Paris à Palaiseau
Madame Mabrun devant aller à Palaiseau reçoit de tante Cécile une lettre dans laquelle elle lui disait qu’elle l’attendait le soir et que pour lui éviter tout embarras oncle Ernest[12] serait à la gare où il la prendrait. C’est très bien ; madame Mabrun fait ses petits paquets qui consistent en deux gros sacs, et part bravement tenant un sac de chaque main elle se dirige vers la gare ; laquelle ? peu importe ! ce sera toujours une gare et elle va à Montparnasse. Là, elle regarde de tous côtés, et ne voit point de M. Dumas ; elle va au guichet et demande un billet non pour Palaiseau mais pour Versailles. Elle croit prendre le bon chemin et pense qu’elle trouvera facilement à Versailles une voiture pour Palaiseau et que mon oncle n’étant pas à la gare c’est qu’il aura été retenu par ses affaires. Arrivée à Versailles elle descend tenant ses deux sacs qui l’équilibraient et
(je me suis trompée de feuille, tant pis)
voyant des fiacres elle va à l’un d’eux : « Cocher combien me prendrez-vous pour aller à Viroflay ?
– Pour aller à Viroflay ce sera 50 sous.
– Cinquante sous, reprend Madame Mabrun, pour aller à Viroflay ce n’est pas trop cher mais avant je veux savoir s’il n’y a pas une voiture y conduisant. » Madame Mabrun va trouver un employé des omnibus
« Monsieur, est-ce qu’il n’y aurait pas une voiture faisant tous les jours vers cette heure-ci le chemin de Palaiseau ? » Cette fois elle avait bien dit le nom.
« Je ne sais pas Madame, il peut y en avoir mais je ne connais pas. » Mme Mabrun se dit qu’elle va chercher et arrête un Monsieur au passage.
« Pardon Monsieur pourriez-vous me dire à quelle heure part la voiture de Palaiseau ».
« La voiture de Palaiseau ! Je connais bien la voiture de Charenton mais pour celle de Palaiseau je ne la connais pas » ; et le monsieur continua sa route.
Mme Mabrun continue courageusement son interrogatoire à tous les passants jusqu’à ce que lassée de ses efforts infructueux elle retourne à un fiacre.
« Cocher on m’a dit que vous pourriez me mener jusqu’à Palaiseau pour 50 sous.
– Pour 50 sous ! pas possible ! aller à Palaiseau pour 50 sous ; ailleurs peut-être ? Ne vous trompez-vous pas de nom ; mais pour Palaiseau !
– Ah ! je crois que je me suis trompée et que j’ai demandé Viroflay ! Mais pour Palaiseau combien demandez-vous ?
– Dame ! ce ne sera toujours pas moins de 5 à 9 F » Trouvant cela trop cher Mme Mabrun retourna à la gare et finit par savoir qu’il y avait une voiture pour Palaiseau.
« Alors je vais la prendre !
– Madame, elle est partie.
– Je prendrai la suivante !
– La prochaine ne partira que demain vers 4h1/2 de la journée.
– Mon Dieu, mon dieu, s’écrit la malheureuse Mme Mabrun, que faire ! je ne peux pourtant pas coucher sur la pavé de Versailles, je ferai mieux de retourner à Paris. » Le train arrive, Mme Mabrun et ses paquets remontent dans un wagon et arrivée à Paris Mme Mabrun qui avait sa machine de Palaiseau montée recommence à demander. « Monsieur ou Madame est-ce qu’il n’y a pas à Versailles une voiture pour Palaiseau ? » Elle voit enfin un sergent de ville : « Sergent de ville, lui dit-elle, est-ce qu’il n’y a pas un moyen de transport de Versailles à Palaiseau ?
« Je ne sais pas madame, mais il me semble que pour aller à Palaiseau nous n’auriez pas dû prendre Montparnasse mais aller à la gare de Sceaux ! »
La gare de Sceaux ! Quel trait de lumière c’était donc la bienheureuse gare qu’il lui fallait ; elle retourne chez elle pour se coucher maugréant contre tante Cécile qui ne lui avait pas donné de renseignements ; elle se couche s’endort du sommeil de l’innocence et le lendemain se lève prend sa tasse de café à 10 heures et part pour la gare ; cette fois pour celle de Sceaux. Elle arrive ; le train qui part à 10 heures ne l’avait pas attendue ; elle s’assoit, avec ses paquets à côté d’elle et attend le train de midi.
Enfin elle s’embarque, arrive à Palaiseau puis chez tante Cécile essoufflée et passablement furieuse. Quand elle voit tante, elle s’avance en lui montrant le poing. « Comment pouvez-vous m’avoir ainsi induite en erreur Cécile, c’est très mal ; ne pas même me dire qu’il fallait venir par Sceaux, me laisser aller à Versailles ; me dire la gare, la gare c’est bien vague, la gare quelle gare. » Tante Cécile qui n’y comprenait rien [ ] et rit de tout son cœur et dit à Mme Mabrun qu’elle aurait dû chercher sur l’indicateur. « Chercher sur l’indicateur qui est-ce qui pense à regarder les indicateurs pour faire un si court trajet !
– Alors pourquoi demander Versailles au lieu de Palaiseau lorsque vous êtes allée au guichet.
– Parce que je croyais qu’il fallait passer par Versailles. »
Bref pour faire un petit voyage de 2 heures, Mme Mabrun avait mis 24 heures.
C’est elle-même qui nous a raconté cela, Marie chérie et ne crois pas que je brode c’est l’exacte vérité et j’aurais plutôt oublié quelque chose. Heureusement qu’elle a fini par arriver, mais quelle naïveté de partir ainsi ; par exemple c’est une bien bonne personne qui accepte fort bien les taquineries dont on l’a accablée. Tu trouves peut-être que je parle d’elle un peu légèrement mais rassure-toi je ne fais que répéter ce qu’elle nous a raconté elle-même tout en riant de ses mésaventures. Nous avions tous mal aux côtes en l’entendant.
Quelle longue lettre ma sœur chérie, j’espère que cette histoire vous amusera toutes deux[13] et quant à moi [ ] je vais me coucher, il est tard. Tout dort dans la maison [ ] qui doit attendre Mme R. Je pense qu’elle ne va plus tarder car il est [temps] il n’est que 9h j’aurais cru qu’il en était 10 au silence qui règne depuis si longtemps.
J’aurai passé une bonne soirée avec toi car depuis le dîner sauf un petit moment pour faire les comptes je ne t’ai pas quittée. Que n’ai-je pu te le dire de vive voix au lieu de griffonner comme un chat.
Allons adieu ma chérie, ma petite sœur chérie, je t’embrasse mille fois ainsi que ma chère petite Emilie que je voudrais tant revoir aussi ; il y a si longtemps que nous ne l’avons fait.
Ta petite sœur Marthe
P.S. Grâce pour les fautes d’orthographe, j’ai écrit si vite !
Notes
- ↑ Henri Milne-Edwards ?
- ↑ Jeannette, employée par les Pavet de Courteille ?
- ↑ Ida Marie Malgrange, veuve de Henri Jean Baptiste Martineau.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve de Camille Alphonse Trézel.
- ↑ Marthe Ricard ?
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Hypothèse : Emma Dreyfus, veuve de Paul Mabrun.
- ↑ Constance Baltard, veuve de Paul Eugène Lequeux.
- ↑ Elisabeth/Isabelle Lequeux.
- ↑ Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Marie et sa sœur Emilie Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Septembre 1878 - 1. Lettre de Marthe Pavet de Courteille (Paris) à Marie Mertzdorff (Vieux-Thann) [les pages 1 et 4 sont absentes] », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Septembre_1878_-_1&oldid=59248 (accédée le 21 décembre 2024).
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