Samedi 3 avril 1915

De Une correspondance familiale


Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Guérigny)

original de la lettre 1915-04-03 pages 1-4.jpg original de la lettre 1915-04-03 pages 2-3.jpg


29, RUE DE SÈVRES, VIE[1]

3 Avril

J’avais donc fait un jugement téméraire, mon pauvre Lou, tu n’avais pas oublié ta famille, mais tu ne savais où la saisir. Tu sais déjà par ma lettre de Mercredi[2] que ta missive nous a trouvés ici. Elle nous a beaucoup intéressées Lucie[3] et moi et est allée rejoindre ton papa[4] qui a déclaré hier matin à 7h son rhume guéri et est immédiatement parti pour Boulogne, puis Campagne. Il reviendra Lundi soir. Je suis bien contente mais nullement étonnée que tu te sois tout de suite trouvé bien du changement d’air. Du reste la vie que tu menais ici et qui était trop restée celle d’un malade n’était pas précisément faite pour te rendre tes forces. Il te faut maintenant de l’air et de l’exercice et c’est à quoi il faut viser… autant que le temps te le permettra : nous avons ici de terribles variations passant par la neige, la pluie, le printemps avec son chaud soleil, le vent glacial ; tout cela sans transition.

Il me semble que je t’ai déjà donné l’adresse de Made[5] : 4 rue des Trésoriers de la Bourse[6]. Je t’y ai envoyé des mouchoirs que tu trouveras sans doute en arrivant, afin que les carreaux de Corpet[7] ne fassent pas rougir ta sœur. Je pense que Guy n’est plus du tout accessible à ces détails…

En même temps que ta lettre hier soir, il en arrivait une d’Elise[8] personnelle, pleine d’affection pour son Jacques et qui a fait du bien au pauvre garçon. Elle a passé par la Hollande et porte une adresse pour la réponse, (qui n’est pas celle du Docteur Tournier). Jacques a été hier tout souffrant, il est cependant venu ce soir, mais fatigué et peut-être un peu fiévreux, je ne serais pas étonnée qu’il commence la grippe.

Géo[9] se lève un peu, mais c’est à peine si on le trouve dans sa culotte et ses bas flottants autour de ses jambes : seule la tête a gardé sa rondeur et sa solidité, les idées n’y sont pas plus nombreuses, mais toujours et de plus en plus tenaces. Geneviève[10] n’est pas devenue anguleuse, ni au dehors ni au-dedans. Suzette[11] jacasse sans trêve et fait grincer sa sœur[12] comme une vieille porte qui manque d’huile. Il est vrai que la pauvre Mémé a été assez longtemps retenue au lit par une sorte de grippe qui a fait suite à sa rougeole et n’a cédé qu’à l’intervention de l’huile de ricin dont il n’est malheureusement rien resté dans les rouages.

Nous avons reçu Jeudi une lettre de Pierre[13] datée du 26. Il était au repos et ne paraissait pas prévoir un si brusque départ. Il se demandait cependant ce que signifiait ce renouvellement complet de leur matériel et l’inspection passée par Joffre ; tout cela lui paraissait quelque peu mystérieux.

On dit au 6e Génie que tous les projecteurs seront partis le 22 Avril. Jacques[14] n’a donc plus à attendre bien longtemps.

Je t’embrasse très affectueusement, cher enfant, et te prie de dire à M. Arène mon affectueuse reconnaissance pour l’accueil si aimable qu’il t’a fait.

Emy


Notes

  1. Adresse imprimée.
  2. Lettre du 31 mars 1915.
  3. Lucie Froissart, épouse de Henri Degroote.
  4. Damas Froissart.
  5. Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge.
  6. A Montpellier.
  7. Jean Corpet.
  8. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart.
  9. Georges Degroote (3 ans).
  10. Geneviève Degroote (2 ans).
  11. Suzanne Degroote (6 ans).
  12. Anne Marie Degroote (7 ans).
  13. Pierre Froissart, frère de Louis.
  14. Jacques Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 3 avril 1915. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Guérigny) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_3_avril_1915&oldid=53817 (accédée le 15 novembre 2024).

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