Mercredi 31 mars 1915

De Une correspondance familiale

Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Guérigny)

original de la lettre 1915-03-31.jpg


29, RUE DE SÈVRES. VIE[1]

31 Mars

Mon cher Louis,

Je ne sais si, en cherchant dans tes souvenirs, tu arrives à te rappeler que tu as quelque part une famille. Si oui, il t'intéressera peut-être de savoir que nous avons eu Dimanche la visite de Michel[2], se demandant si ce n'est pas sa dernière visite avant le départ.

J'espérais pouvoir te donner des nouvelles de Pierre[3] de visu. En effet, nous sommes allés hier à Épernay, ton père[4] et moi, le croyant au repos tout près de là. Et au moment où nous avions péniblement frété une voiture pour gagner son cantonnement supposé, des soldats nous ont appris que tout le monde artilleurs, fantassins, avait délogé la veille et s'était embarqué en chemin de fer pour une destination inconnue. Il restait encore des sapeurs qui embarquaient leur matériel. Tu juges de notre déception. Elle était la deuxième pour ton papa, aussi l'a-t-il sentie encore plus vivement que moi.

Beaucoup de pauvres mères se trouvaient dans notre cas et repartaient, l'oreille basse, remportant les succulentes choses qu'elles apportaient à leurs garçons ! c'était triste, triste. Nous ne savons ce qui a occasionné ce départ précipité alors qu'il semblait nécessaire de prendre un peu de repos pour réparer le matériel et laver le linge. Pierre ne nous a pas écrit depuis qu'il a quitté le front, c'est par Mme Marc[5] que nous avions su à quel endroit nous avions chance de le trouver. Nous avons tout de suite repris le train pour rentrer dès hier soir. Ton papa a rapporté de notre froide, humide et décevante escapade un épouvantable rhume de cerveau qui le rend tout dolent.

Les petits CD.[6] sont partis Lundi soir, je n'ai pas encore de nouvelles de leur arrivée. Geogeo[7] a été très pris de bronchite et a été plus malade que les autres, il va mieux. Savait-on déjà quand tu es parti la mort du gendre du Docteur Arnould[8] ?

Quels sont tes projets ? ma lettre te trouvera-t-elle encore à Guérigny ? Si oui, rappelle-nous au bon souvenir de M. Arène qui est vraiment bien bon d'accueillir un enfant comme toi.

Michel écrit que la moto est arrivée. Je t'embrasse tendrement.

EM

Je t'envoie l'adresse de Madeleine[9].


Notes

  1. Papier à en-tête.
  2. Michel Froissart, frère de Louis.
  3. Pierre Froissart, frère de Louis.
  4. Damas Froissart.
  5. Marie Marthe Petit, épouse de Charles Marc.
  6. Probablement Patrice et Bernard Colmet Daâge, qui habitent Montpellier (4 rue des Trésoriers de la Bourse).
  7. Geogeo, probablement Georges Degroote (3 ans).
  8. Louis de Sainte-Marie, gendre d’Edmond Arnould (fils).
  9. Madeleine Froissart, épouse de Guy Colmet Daâge.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 31 mars 1915. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Guérigny) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_31_mars_1915&oldid=59181 (accédée le 12 décembre 2024).

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