Samedi 30 décembre 1871
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)
Samedi soir[1]
Ma chère petite Gla,
Quoique les fillettes[2] vous aient écrit il ne sera pas dit que l'année, la triste année[3] se terminera sans que tu reçoives une petite preuve de mon amitié pour toi et sans que je t'envoie les souhaits de rigueur, souhaits qui, comme je l'écrivais à maman[4], se résument dans la santé pour ceux qui nous restent. Et puis pour Alfred[5] qu'il trouve une position à la hauteur de ses facultés. Combien ce moment de l'année est doublement triste pour nous tous, surtout pour vous qui avez un certain reflet des agitations du monde, nous nous sommes complètement en dehors de cette fièvre, et je trouve cela un bonheur quand on a les idées tristes, on peut rester calme avec ses souvenirs, tout en accomplissant ce qu'on a à faire.
Aujourd'hui j'ai été très dérangée par une chose et une autre, les préparatifs d'étrennes de la maison, mais tout cela dans mon petit royaume car j'avais fait mes provisions et je n'avais qu'à aller dans mes armoires, pour couper et empaqueter les objets à chacun destinés.
Le marteau résonne dans la chambre de jeu ce sont les derniers clous à la petite cuisine ; mon petit monde se réjouit bien d'avoir demain la solution de tant de bruit (car elles cherchent à ignorer pour conserver à chacun tout son plaisir). Je ne te donnerai pas l’explication la description de tant de cette merveille, je leur laisserai ce plaisir. Emilie voudrait déjà être à demain, « elle veut se coucher de bonne heure pour que le temps passe plus vite ». Jean[6] approuvera une conduite aussi sage.
Depuis 3 heures un accordeur (dans les vignes du seigneur) me charme ou plutôt me fait mal à la tête enfin ça va être terminé, et mes jeunes virtuoses pourront exécuter leurs morceaux de jour de l'an. Te rappelles-tu le temps où nous avions de ces exécutions solennelles pour papa[7] : « air frrrançais ».
Tu fais bien d'avoir maman à dîner pour le jour de l'an, quoique toujours triste, il vaut mieux ne pas être tout à fait seule. J'aurai les 2 jours la famille à dîner, nous sommes peu nombreux (9 personnes). J'ai reçu une bien bonne petite lettre de Louise[8], embrasse-la pour moi et fais-lui mes amitiés ainsi qu'à Cécile[9].
Comment me voici à la fin de ma 3e page et je ne t'ai pas encore parlé de ton doigt, le petit misérable m'occupe pourtant beaucoup, il m'a même inquiétée, et je ne saurais assez ta répéter qu'il faut te soigner, c'est à dire ne rien faire avec ta main jusqu'à ce tu sois tout à fait bien. Je sais que cela est très ennuyeux surtout pour toi qui aime tant le travail ; à propos de travail tu me diras comment il faut que nous fassions les manteaux imperméables des enfants, les leurs sont trop petits et j'ai l'étoffe, j'en ferai un aussi neuf pour moi je donne le vieux à Cécile[10], ici toutes les personnes comme elles en ont. Quelle forme préfères-tu ?
10h Voici le calme dans la maison ; je vais porter à côté de la petite cuisine la seconde chaise que maman a faite pour les fillettes, je l'ai cachée jusqu'ici afin de la donner pour le jour de l'an, j'ai oublié de le dire à maman en voulant encore la remercier pour ce joli travail. Je voulais encore lui dire que grâce à ses deux bons manteaux je n'ai pas souffert du froid, la bonne petite casaque garnie d'astrakan est toujours mon inséparable depuis 4 ans, quand je veux sortir j'ajoute le grand manteau doublé de fourrure de la sorte je brave le froid et le vent.
Toutes les lettres que nous avions fait mettre à la poste à 1h nous sont revenues, il a fallu faire de nouvelles adresses, nous nous étions servis deux jours trop tôt des nouveaux affranchissements !!! Oh les affreux Prussiens. Marie et Emilie qui ont une vraie passion pour leurs enveloppes à chiffres n'ont pas voulu en sacrifier de nouvelles !...
Où est ma tante Prévost[11] je lui ai écrit chez Constance[12].
Est-ce que tu voudras offrir nos compliments à M. Edwards[13] et te charger de faire mes amitiés à ceux qui te parlent de moi.
Adieu, ma chérie, reçois pour toi et Alphonse[14] l'assurance de notre profonde amitié
E.M.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff (les « jeunes virtuoses »).
- ↑ Leur frère Julien Desnoyers a été tué en janvier 1871.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Le petit Jean Dumas.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Amable Target, veuve de Constant Prévost.
- ↑ Constance Prévost, épouse de Claude Louis Lafisse.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 30 décembre 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_30_d%C3%A9cembre_1871&oldid=35591 (accédée le 21 novembre 2024).
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