Samedi 23 décembre 1871
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris)
Samedi 4h
Ma chère Gla,
Comment tu vas te mettre à courir pour les achats de nouvel an, ce n'est pas raisonnable, et tu mérites d'être très fort grondée, aussi c'est ce que je commence par faire avant de répondre à ta lettre écrite hier. Et comme je te l'ai dit il ne faut rien m’ envoyer pour moi, si vous trouvez un petit objet me convenant vous l'achèterez et le garderez pour me le remettre vous-mêmes et je vous en remercie tout comme si je le recevais maintenant.
Ne te tourmente pas avec la question fanchon et surtout ne cours plus les magasins pour cela, quoique je me trouve laide et vieille les cheveux blancs ne se voient pas encore beaucoup quoiqu'il y en ait et il n'est pas absolument nécessaire de les cacher quoique je mette presque toujours ma fanchon de guipure. Il faut te ménager jusqu'à ce que tu ne souffres plus du tout de ton doigt, ça pourrait revenir.
Puisque tu veux faire plaisir aux fillettes[2] pour elles j'accepte un petit envoi, pas de grande caisse et adresser à Mme Marconnot à la scierie du Fourneau à Belfort pour Mme Mertzdorff. C'est une cousine de Cécile[3] qui remet le paquet à une marchande qui vient au marché et c'est cette femme qui paiera à la douane s'il y a lieu.
Pour la petite cuisine tout peut convenir car le foyer est exactement fait comme un grand avec les ronds s'enlevant et se bouchant, et il y a les 4 marmites rentrant dans les trous, les casseroles de fer blanc n'ont pas besoin de mesure car elles cuisent seulement posées sur le fourneau qui en tout peut avoir 0,20m sur 0,30m à peu près, il y a un four, une case pour l'eau chaude (c'est le modèle d'une fabrique de fourneau en fonte). Ce qui manque c'est l'écumoire, la cuillère à soupe, pochon de cuisine à long manche, rôtissoire d'environ 0,10m ou 12cm, la salière à suspendre au mur.
J'ai déjà répondu à la question livres et je te nommerai de la liste que tu me donnes que ceux qu'elles n'ont pas :
Les Malheurs de Sophie[4]
La Bible racontée par une grand'mère[5]
La marquise de satin vert[6]
L'Empereur du Brésil se promène
Les Vacances[7]
Le Mauvais Génie[8]
(soir 9h) J'ai consulté les futures lectrices et les mines ont souri en disant qu'elles n'avaient rien de toute ta liste, ainsi tante Aglaé peut choisir ce qu'elle voudra, elle fera toujours plaisir. Excepté les petites filles Modèles[9] que j'ai et que je leur donnerai. Ce serait donc les Malheurs de Sophie et les Vacances qu'on préfèrerait car ces histoires se suivent, paraît-il.
Jean qui rit et Jean qui pleure[10]
Les 2 nigauds[11].
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Marie est rentrée avec très bonne mine et tout animée, elle n'a besoin que de mouvement à côté du travail.
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Je suis seule et j'en profite pour te répondre de suite, je préférais ne pas sortir aujourd'hui et suis restée à me reposer, tandis que Cécile accompagnait les enfants à l'arbre de Noël de l'orphelinat, en en revenant ce matin elle a dit que c'était si joli que j'ai voulu que ne pas priver les fillettes de cette gentille fête elles te conteront cela dans leur première épître. Marie n'a pas bonne mine, par contre Emilie est fraîche comme un petit pinson. Marie prétend qu'elle se sent grandir.
Un grand malheur qui menace une famille de Thann, la jeune des demoiselles Wilhelm[12] qui est mariée depuis 2 ans vient d'avoir une petite fille[13], il y a six semaines et hier on la disait au plus mal ; la pauvre vieille mère[14] vit, les sœurs aînées[15] ont connu le temps où leur père[16] était un des premiers de Thann, et le mari[17] qui était veuf a une petite fille de 5 ans, cette mort laisserait donc 2 petites orphelines et la douleur dans une famille qui a déjà bien souffert moralement.
On m'apporte les petits paletots pour les garçons mais mon étoffe n'arrive pas pour les filles et comme tu dis, ça agace. Je ferai venir demain les garçons pour leur remettre leurs vêtements si les pantalons viennent encore ce soir.
Adieu, ma Chérie, embrasse bien maman[18] pour moi, distribue de bonnes amitiés à papa[19], Alfred[20], Alphonse[21] et garde pour toi de bonnes tendresses.
Ma bonne petite Mère je t'embrasse de tout cœur je ne puis résister à te dire un petit mot aussi car tu sais que les lettres à Aglaé ou à toi c'est la même chose.
Votre
Eugénie M.
Notes
- ↑ Lettre non datée, à situer en 1871 (cicatrisation du doigt d’Aglaé), après la lettre du 21 (première liste des livres).
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Les Malheurs de Sophie, par de Sophie de Ségur.
- ↑ Bible d'une grand'mère, par de Sophie de Ségur.
- ↑ La Marquise de Satin-Vert et sa femme de chambre Rosette, par Elizabeth Martineau Des Chesnez.
- ↑ Les Vacances, par de Sophie de Ségur.
- ↑ Le Mauvais génie, par de Sophie de Ségur.
- ↑ Les Petites F'illes modèles, par Sophie de Ségur.
- ↑ Jean qui grogne et Jean qui rit, par Sophie de Ségur (1866), plutôt que Jean qui pleure et Jean qui rit, par Adrien Robert (1855).
- ↑ Les Deux nigauds, par Sophie de Ségur.
- ↑ Marie Eléonore Wilhelm, épouse de Jean Baptiste Stocker.
- ↑ Marie Joséphine Fanny Stocker.
- ↑ Marie François Adélaïde Rey, veuve de François Joseph Cyrille Wilhelm.
- ↑ Dont Marie Joseph Victorine Wilhelm.
- ↑ François Joseph Cyrille Wilhelm.
- ↑ Jean Baptiste Stocker.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 23 décembre 1871. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards et à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_23_d%C3%A9cembre_1871&oldid=35489 (accédée le 14 novembre 2024).
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