Samedi 2 mai 1874

De Une correspondance familiale

Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)

original de la lettre 1874-05-02 pages 1-4.jpg original de la lettre 1874-05-02 pages 2-3.jpg


Vieux-Thann le 2 Mai 74.[1]

Ma petite fille chérie

C'est à toi ma petite Marie que j'écris, & il est temps car il y a déjà quelques jours que vous ne savez plus rien du papa ; il n'y a du reste pas grand chose à en dire, il va bien, il a bien un peu ses petites misères connues, qui viennent & s'en vont comme depuis de longues années ; Comme l'on cherche une cause il peut très bien se faire que ces changements brusques de température aient quelque influence, partie des vignes est bien gelée, ainsi que quelques arbres fruitiers, les cerises sont mangées & d'autres choses probablement avec.

Il est de bon matin & je ne sais encore si cette nuit il a gelé comme Celle de Mercredi à Jeudi où j'ai constaté de la glace sur les fenêtres des couches. Comme toujours ce sont principalement quelques cantons qui ont beaucoup souffert, d'autre bien moins, mais déjà aujourd'hui la perte est grande & si toute la France était malmenée comme l'Alsace, il faudrait sans doute estimer la perte à près d'un milliard. Sans doute que cette année & l'hiver compris, nous aurons encore bien du mal à savoir occuper nos ouvriers & que cela ne se fera qu'à force de sacrifices.

C'est bien par cette charge d’âmes < > de corps étrangers que nous mettons tant de souci à tout ce que l'avenir nous réserve.

Mais puisque nous n'y pouvons rien laissons là la destruction de l'abondance & parlons un peu autre chose.

J'aurais dû commencer ma lettre par te charger à bien embrasser tante[2] pour sa bonne lettre qui me parle de vous. Voilà notre petite Emilie[3] chérie enrhumée & un peu patraque, j'avoue que j'attends par ce courrier un petit mot qui me dise qu'elle continue à aller mieux. Je suis du reste parfaitement tranquille, avec une sentinelle comme Oncle & tante[4] ma petite propriété, chérie par-dessus tout, est bien gardée

Mercredi, comme je crois vous l'avoir dit, j'étais à Morschwiller & comme j'avais oublié de prévenir Léon[5], j'étais à pied de Lutterbach par un temps frais mais très beau, j'ai fait là une charmante promenade. Au lieu de passer le Village j'ai longé un fossé que j'avais à voir sur toute sa longueur pour me rendre compte de ce que deviennent mes résidus s'ils peuvent faire du tort aux voisins,

Je suis donc arrivé à la fabrique sans préalablement passer par la maison de bonne-maman[6] que je n'ai vue que pour le dîner, il y avait longtemps que je n'étais passé par les ateliers & j'avais pas mal de choses à voir.

L'on y travaille pianissimo, mais comme c'est assez général pour tout ce qui est industrie j'aurais mauvaise grâce de me plaindre. Par le fait l'organisation de l'usine est assez bien réussie. J'espérais pouvoir y voir marcher une machine nouvelle à laver, mais elle n'était prête & partie est remise à semaine prochaine.

bonne-maman va bien ainsi que bon-papa[7], elle avait reçu lettre de votre chère tante[8], & il est toujours convenu qu'elle sera de la retraite des premières communiantes. Quant à Léon je ne lui ai encore rien dit & je crois qu'Emilie[9] ferait peut-être bien, si elle peut trouver un tout petit moment, de lui écrire une toute petite invitation. Je suis sûr qu'il ne demandera pas mieux que d'être de la partie & un voyage à Paris ne l'effraye pas je suppose.

D'ici je n'ai rien de bien important à vous signaler. Demain l'on fera la première communion, si je ne me trompe pas.

Personne ne m'a rien demandé & je n'ai absolument rien donné ou fait, sauf une pauvre petite ouvrière qui a demandé pour son frère, mais pour Rammersmatt[10].

J'ai quelques pensionnaires de plus, entre autre une petite Demoiselle bien gentille qui est chez moi depuis 45 ans, aussi ai-je recommandé des soins particuliers & quelques bouteilles de vin rouge ; pour la remettre sur pied, mais elle ne saura plus venir travailler.

Cette semaine encore j'ai engagé un contremaître teinturier, c'est Georges[11] qui s'en occupe en ce moment, mais il avait besoin d'aide n'étant pas encore très fort. C'est donc décidé par la force des choses je remonte la teinture ce qui ne m'amuse pas du tout. Ce sera l'affaire de Georges avec le temps. Il y a encore d'autres questions qui me préoccupent mais je vous en parlerai lorsqu'il y aura quelque chose de décidé.

La fabrique travaille toujours bien doucement, & donne peu de satisfaction & naturellement ce temps froid ne donne pas bon espoir pour l'avenir.

Je viens d'être distrait par les petites Sœurs des pauvres de Colmar qui viennent récolter pour leurs vieillards, par suite du départ de quantité de gens riches du département, les restants doivent donner plus, car les malheureux n'ont pas opté, & le nombre est grand.

Tout le monde me charge toujours d'une foule de bonnes amitiés pour vous, il serait trop long de vous les nommer tous. Mes bonnes amitiés à Cécile[12] que j'aime bien

Me voilà au bout de mon papier & à peu près aussi à bout de nouvelles il ne me reste donc plus qu'à te charger d'embrasser Tante & Oncle pour moi, pour moi aussi ta petite sœur chérie chérie.

pour toi grosse mignonne mes meilleurs baisers & si je voyageais aussi facilement que ce petit papier je ne serais pas long à voyager de compagnie ; mais la poste ne se charge pas d'un si gros paquet, faute de mieux ce messager t'embrasse pour ton père qui t'aime comme tu sais & plus que tu ne sais. tout à toi chérie

Charles Mff


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  4. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
  5. Léon Duméril.
  6. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  7. Louis Daniel Constant Duméril.
  8. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  9. Emilie Mertzdorff va faire sa communion.
  10. Rammersmatt, petite commune du pays de Thann.
  11. Georges Duméril.
  12. Cécile, bonne des demoiselles Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 2 mai 1874. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_2_mai_1874&oldid=35443 (accédée le 15 novembre 2024).

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