Samedi 28 octobre 1916
Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)
28 octobre 1916[1]
Mon cher Louis,
Quand nous viens-tu, ou au moins quelle est la date la plus rapprochée où tu as chance de nous arriver ? Nous espérons que ta santé continuera à te bien servir pour les derniers jours de votre peloton qui comporteront sans doute un effort pour un examen, pour un classement.
Je t’ai écrit que je t’envoyais des bouquins, ces bouquins qui doivent ouvrir à ton intelligence avisée ces horizons nouveaux pour l’emploi de tes facultés qu’ont exploré tes frères[2] à Fontainebleau et qui doivent permettre à un sous-officier arrivé par le rang à savoir tirer aussi bien qu’un produit de Fontainebleau tout en ayant, en plus, la pratique de la troupe.
Je veux croire que Lavauzelle[3] qui s’est engagé à te les envoyer a su te les faire parvenir, mais un mot de toi, le disant, m’eût tranquillisé.
Hélas ! Avec Filipesco s’en vont mes grands espoirs Roumains ! Combien navrante l’évacuation de la magnifique tête de pont qu’était la Dobrudja[4]. A quoi va nous servir la Roumanie si elle nécessite pour l’aider à se défendre des forces dont on aurait un bel emploi ailleurs et si au bout de tout cela elle devait succomber avec tout le matériel que nous lui avons fourni. Quel effondrement ce serait. et quel travail supplémentaire pour les troupes de Salonique !
Enfin le grand succès auquel a été appelé à collaborer ton frère Michel[5] à Verdun, le plus grand succès depuis la Marne est peut-être en étroite relation avec le concours que les assiégeants de Verdun vont probablement aller donner aux Bulgares et aux Autrichiens.
Il nous écrit le soir du 24 que son cœur a quelque peu palpité et qu’il est vivant. Hélas à des succès comme celui-là il y a un envers de la médaille, ce sont de grosses attaques à prévoir pour rattraper le prestige perdu, attaques qu’il faut recevoir sans avoir de puissants [abris] organisés et dans lesquelles l’artillerie de campagne qui, seule, peut suivre doit tirer à ciel ouvert et écoper.
Pour Michel, l’écueil, ce sont ses nouvelles fonctions d’observateur dans les tranchées qui le mettent sérieusement en danger : sans nous l’avoir dit, il semble qu’il ne soit plus précisément employé à l’organisation des communications comme l’est Pierre[6] et qu’il est observateur de tranchées.
Pierre nous écrit des profondeurs d’un abri où l’on est passablement serré, paraît-il. Cet abri est dans une région que les boches dominent et où il faut renoncer à se promener sous peine d’écoper. Pierre espère avoir une permission dans 15 jours, écrivait-il il y a 3 jours. Il y a des chances pour que vos permissions coïncident si ses prévisions se réalisent.
Noter tante Marie Duméril[7] vit toujours c. à d. qu’elle a toujours [du] souffle mais elle s’est beaucoup affaiblie depuis 2 jours, ne parle plus assez distinctement pour qu’on la comprenne. La fin approche. Guy[8] doit justement arriver en permission incessamment pense-t-il. Ce sera une coïncidence heureuse pour Hélène[9].
Je suis absorbé depuis quelques jours par les formalités d’une demande de prisonniers pour [Testu] et Hochard de Saint-Josse[10] pour [Verdure] et Malvache : je serais parti depuis 2 jours si je n’avais espéré pouvoir obtenir du ministre[11] par application d’une circulaire du 21 octobre qu’on [cantonne] par 5 c. à d. dans chaque ferme les prisonniers qu’on y [emploie].
Mais malgré d’immenses périodes de drague dans les antichambres j’ai abouti à la réponse que nous devrons [grouper] par 10 parce que nous sommes dans la zone des armées : on n’a pas voulu compter sur les anglais pour renforcer la garde d’un homme par 5 personnes qui est un peu juste il est vrai quand cet un a la colique.
Je pars à Brunehautré, Dommartin, Wimereux[12] pour 48 heures sans doute.
Amitiés
D. Froissart
Notes
- ↑ Papier à en-tête : 29, rue de Sèvres, VIE
- ↑ Jacques, Michel et Pierre Froissart.
- ↑ Lavauzelle est une entreprise d'imprimerie, d’édition et de papeterie créée en 1835 près de Limoges, spécialisée dans les livres à thématique militaire.
- ↑ Dobrudja, région du delta du Danube.
- ↑ Michel Froissart.
- ↑ Pierre Froissart.
- ↑ Marie Stackler, veuve de Léon Duméril.
- ↑ Guy de Place.
- ↑ Hélène Duméril, épouse de Guy de Place et fille de Marie Stackler.
- ↑ Saint-Josse, commune de l’arrondissement de Montreuil, comme Campagne-lès-Hesdin.
- ↑ Probablement le général Pierre Auguste Roques (1856-1920), ministre de la Guerre de mars 1916 à décembre 1916 (il est polytechnicien, comme Damas Froissart).
- ↑ Wimereux où séjourne sa fille Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 28 octobre 1916. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_28_octobre_1916&oldid=55198 (accédée le 10 octobre 2024).
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