Samedi 24 septembre 1842
Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa sœur Eugénie (Lille)
de Mme Félicité Duméril
Pour Eugénie
Paris 24 Septembre 1842.
Ta lettre, mon excellente petite sœur, m’a fait infiniment de plaisir, car j’y vois une nouvelle preuve de ton bon jugement et de la sûreté de tes réflexions : avec une manière d’être comme la tienne, et un raisonnement si juste, sur la conséquence des actions, on est heureux dans cette vie et on fait le bonheur des autres : certainement, ma bonne Eugénie, il était de ton devoir de chercher à t’éclairer sur un point aussi grave que celui dont il est question dans ta lettre, et tu devais, pour ta tranquillité, connaître à fond les intentions d’Auguste[2]. Le jeudi soir, me trouvant avec lui chez nos parents[3], je lui dis que j’avais à lui soumettre, de ta part, quelques réflexions : hier matin, il s’est empressé de venir me trouver de bonne heure : il a lu et relu avec la plus grande attention tout ce qui est relatif dans ta lettre au sujet de la religion, et voici fidèlement la conversation que j’ai eue avec lui : Auguste, en te demandant en mariage, a pensé beaucoup à cette difficulté religieuse : par principe et par devoir, il est attaché fortement à la religion dans laquelle il a été élevé, mais il respecte les autres, et particulièrement la nôtre : lorsqu’on se marie, il faut penser aux cas les plus malheureux et les plus affligeants : ainsi donc, ce que tu dis (ce qui certes n’arrivera pas), relativement à la naissance d’un enfant après la mort de sa mère, est un point qui a fait réfléchir Auguste : mais après quelques moments de réflexion, il a trouvé que le consentement qu’il donne à élever tous ses enfants dans la religion catholique doit nécessairement s’étendre à celui qui n’aurait pas le bonheur de voir sa mère : il a dit qu’il y aurait une sorte de déloyauté à agir autrement, après la promesse qu’il aurait faite : il sent pourtant que la tâche serait pour lui assez difficile à remplir, en faisant élever son enfant dans la religion catholique : mais, après y avoir songé de nouveau, que, ne pouvant pas conduire lui-même son enfant dans l’église, il le confierait à un ecclésiastique éclairé, et mettrait la plus grande attention à ce que son enfant suivît exactement les pratiques qui lui seraient ordonnées. Auguste a parlé ensuite de toi-même, et de ce que tu ferais, et il me disait que tu pouvais être tranquille sur la manière d’observer tes devoirs : que jamais de la vie, il n’y trouvera à redire ; que tu seras parfaitement libre d’agir à ce sujet comme tu le voudras, et que ma tante partageait là-dessus son opinion. Ce bon Auguste est enchanté de ta lettre, qui lui donne une nouvelle preuve de la justesse de ton esprit : il sera bien heureux le jour où votre union sera bénie mais il se laisse souvent agiter par l’idée que ce temps est peut-être encore assez éloigné : je le remonte lorsqu’il parle ainsi, et lui dis que tu désires avant tout qu’il ait de la tranquillité d’esprit, et que les circonstances pour son avancement seront peut-être plus favorable qu’il ne pense : en effet, une place peut lui être donnée d’un moment à l’autre, mais il peut se faire aussi qu’il se passe beaucoup de temps avant qu’il en obtienne une. Je ne puis te dire, ma bonne Eugénie, combien je suis heureuse de pouvoir de donner la réponse d’Auguste, au sujet dont tu étais si fort préoccupée : ce que je t’écris te fera grand bien, puisque ta préoccupation cessera à l’instant, et que ta tranquillité sera complète, en pensant à l’avenir de tes enfants. Il faut, ma bonne petite sœur, que je songe à te quitter, parce que l’heure du courrier approche : j’ai été souvent interrompue dans la matinée, et, tout à l’heure, j’ai eu la visite de Monsieur Alphonse Dupont[4], que je trouve bon et aimable : c’est un excellent père et un bon mari : en me quittant, il m’a parlé de mon beau-frère, en termes qui m’ont fait un grand plaisir. Sois tranquille sur la santé d’Auguste : elle est parfaite : il en est de même de mon excellent mari[5], qui t’aime et t’apprécie bien. Je fais des vœux ma bonne Eugénie, pour que maman[6] prenne du repos d’esprit : l’arrivée d’Adine[7] doit faire du bien à nos parents. Cette pauvre Adine vient d’avoir une terrible secousse, en apprenant la mort de Monsieur Tarbé[8] : nous sommes étonnés de ne pas en avoir reçu l’avis par la famille Brémontier : c’est le journal qui m’a appris cette triste nouvelle.
Adieu, ma bonne petite sœur, soigne-toi bien, et reçois l’expression de mon tendre attachement ; embrasse pour moi notre bonne Eléonore, qui ne m’en voudra pas si, cette fois encore, je ne mets pas d’enveloppe à cette lettre.
F. Duméril.
Ce dont tu parlais ne pouvait souffrir de difficulté que pour le premier enfant : cet enfant étant catholique, ses frères et sœurs devaient l’être aussi ; mais, je te le répète, ma bonne amie, sois tranquille à ce sujet : la réponse qu’Auguste a faite ne te laisse rien à désirer.
Notes
- ↑ La cousine Eléonore Vasseur, un des enfants d’Angélique Cumont et de Léonard Vasseur, sert d’intermédiaire.
- ↑ Auguste Duméril, fiancé d’Eugénie et futur beau-frère de Félicité.
- ↑ André Marie Constant Duméril et Alphonsine Delaroche.
- ↑ Alphonse Dupont (1801-1872), marié avec Cécile Duval (1814-1885), est petit-cousin par alliance de Félicité et Eugénie.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Alexandrine Cumont.
- ↑ Alexandrine Brémontier, dite Adine, épouse de Charles Auguste Duméril.
- ↑ Jean Bernard Tarbé de Vauxclairs, grand-père d’Adine, vient de mourir.
Notice bibliographique
D’après le livre de copies : lettres de Monsieur Auguste Duméril, 1er volume, « Lettres relatives à notre mariage », p. 201-206
Pour citer cette page
« Samedi 24 septembre 1842. Lettre de Félicité Duméril (Paris) à sa sœur Eugénie (Lille) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_24_septembre_1842&oldid=35515 (accédée le 8 décembre 2024).
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