Samedi 24 février 1872
Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris)
24 Février 72
Ma bonne petite Mère,
Merci pour la bonne longue lettre que tu m'as écrite de Montmorency. J'ai été contente d'y voir la preuve que tu allais bien, et pouvais faire face à tes nombreuses occupations. Le temps a été bien favorable aux travaux de jardinage, ici nous avons la pluie depuis deux jours, mais le jardinier met tout en ordre pour l'arrivée de son successeur[2] le mois prochain vers le 15. L'accident arrivé à ton couvreur t'aura fait mal, pauvre mère, ce sont de terribles émotions quand on en a de toujours présentes à l'esprit. Hélas ! encore maintenant que je suis rentrée dans ma maison, souvent je ne puis croire à la triste réalité et me prends à faire encore des projets dans lesquels entre notre cher Julien[3]...
Tu dois être rentrée à Paris où papa[4] et Alfred[5] te retiennent, on ne peut encore que faire des petites pointes à la campagne, d'un moment à l'autre le temps peut redevenir mauvais. Je t'ai envoyé quelques fleurs pour orner le cher portrait sur ta cheminée ; Aglaé[6] a eu la bonne pensée d'ouvrir la petite caisse ; je t'en renverrai à la 1ère occasion c'est notre petit bonjour. Tu dois avoir rapporté de la violette de Montmorency.
Vous aurez vu dans les journaux que la souscription marche bien en Alsace, en une journée on a fait un million on espère doubler cette somme. Toutes les signatures sont conditionnelles, c'est pour arriver aux 500 millions. Il me semble qu'on doit y arriver, car il y a vraiment plus d'entrain que lorsque nous étions à Paris.
Dernièrement à une réunion d'autorités pour les indemnités de guerre à rembourser, on s'avisa de réclamer aussi pour les impôts mis en punition par les Prussiens ? alors il a été répondu que cela ne regardait pas la commission et qu'il fallait s'adresser pour cela directement à l'empereur[7] ! Mais sa Majesté très généreuse a fait la réponse suivante à la pétition de la ville de Mulhouse qui demandait à être remboursée de 50 mille francs qu'elle a dû payer en un seul jour en punition de je ne sais quelle faute : « Les dames de Mulhouse ont bien su trouver 30 mille F pour envoyer à leur chère patrie, elles pourront bien encore trouver 50 mille F pour rembourser leur ville ! » Hein les monstres, voilà la galanterie des héros de notre siècle.
Nous n'avons eu aucune visite de la semaine ; j'étais un peu fatiguée de l'estomac et comme je n'avais plus d'appétit ma langue a réclamé une purge que je lui ai fait la gracieuseté de lui servir hier. Je crois que ça m'a fait du bien et que la semaine prochaine je n'aurai plus besoin de me ménager.
Mes petites filles[8] continuent à aller merveilleusement bien, et à travailler tant et tant que je suis étonnée de ne pas les voir plus fatiguées. Aujourd'hui toute la journée je n'ai pas quitté ma table, les lettre[9]s ne sont arrivées qu'hier soir, et j'ai dû faire aujourd'hui les 2 cours, marquer les devoirs.
Aussi les bonnes chéries parlent toujours de vous écrire ainsi qu'à Jeanne[10] et à Jean[11], mais le temps manque.
Oncle Georges[12] va mieux, il se lèvera demain, l'accès de goutte s'en va.
Merci pour mon bénitier, il me fera beaucoup de plaisir. Charles Tu peux l'envoyer à Belfort chez Mme Marconnot à la scierie du Fourneau pour Mme Mertzdorff, préviens-moi seulement 2 jours d'avance pour que je lui écrive de conserver la petite boîte et nous avons occasion de faire prendre à Belfort.
Quand tu verras quelqu'un de la famille charge-toi de toutes mes amitiés et dis bien que j'ai regretté de ne pouvoir retourner les voir tous, ainsi que Louise[13] avant son départ pour Metz.
Je mets toujours le petit col que tu m'as fait avec tes dentelles et cela me fait beaucoup de plaisir, et je suis contente aussi de penser que toi et Aglaé vous avez la même robe que moi ; la tienne est-elle faite ?
Bonsoir, chère bonne mère, je t'embrasse de tout cœur de la part de Charles[14], des deux petites filles et de la mienne. Fais bien nos amitiés à papa, Alfred sans oublier Aglaé et Alphonse[15]. Tu peux dire à petit Jean que sa belle lettre a fait bien plaisir à Emilie qui lui répondra un jour.
Encore mille tendresses
Eugénie M.
Bien des choses à François, Pauline[16], Jean et Amélie[17], Cécile[18] me prie toujours de dire bien des choses à chacun de sa part.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Édouard Canus.
- ↑ Julien Desnoyers (†).
- ↑ Jules Desnoyers.
- ↑ Alfred Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Guillaume 1er (1797-1888), roi de Prusse (1861-1888), empereur d’Allemagne (1871-1888).
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Les lettres du cours par correspondance des dames Boblet.
- ↑ Jeanne Duval.
- ↑ Le petit Jean Dumas.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
- ↑ Charles Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ François et Pauline, domestiques chez les Desnoyers.
- ↑ Jean et son épouse Amélie, domestiques chez Alfred Desnoyers.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 24 février 1872. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa mère Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_24_f%C3%A9vrier_1872&oldid=60300 (accédée le 18 décembre 2024).
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