Samedi 23 et dimanche 24 juillet 1870
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)
CHARLES MERTZDORFF
AU VIEUX THANN
Haut-Rhin[1]
Vieux-Thann le 23 Juillet 70 au Soir
Ma chérie, je m'engage dans un grand papier & cependant & heureusement, je n'ai pas de grandes nouvelles à te donner.
Par suite d'une circulaire du Préfet[2] j'ai fait publier dans la commune que les gens aient à se dépêcher de rentrer les récoltes. Cela a fait naturellement peur, c'est fait pour cela. Ce qui m'explique la circulaire préfectorale c'est une lettre d'Edgar[3] qui me dit qu'il a fait une tournée dans les villages environnant Colmar pour presser tout le monde à rentrer les récoltes. Il paraît qu'il y aura un camp de 60 000 hommes dans les environs & c'est pour permettre à cette armée qui est entre Bâle & Strasbourg à se mouvoir sans faire trop de dégâts. Dans tous les cas l'on est peu rassuré ici sur la frontière & l'on s'attend à bien des vicissitudes de toute sorte.
Léon[4] a dîné avec moi ; rien de nouveau à Morschwiller. M. Auguste[5] continue à assez bien aller, n'a plus eu de crise ; mais cette grande chaleur l'accable & lui est nuisible. Léon prévoit le moment où ils seront arrêtés faute d'Eau.
Le président des bains de Wattwiller vient de rendre ses comptes <s'en allant> en guerre comme commandant de la garde mobile il ne peut plus s'occuper des bains. M. Risler vient de me prévenir pour nous réunir Demain Dimanche soir pour aviser. L'hôtelier veut fermer : n'ayant personne, il dit perdre 30 F par mois jour.
Toute cette affaire va se disloquer & toute la boutique devra probablement être vendue. Je vais aviser aussi à prendre des garanties & tâcher d'en sortir.
Que je suis heureux de vous savoir loin d'ici, ce séjour vous fera grand bien à tous. Pour moi une bien grosse inquiétude de moins. Tu sais je vois facilement des points noirs < > où il n'y en a pas ; mais enfin mon esprit s'inquiète <beaucoup &> mes lettres doivent en porter trace. Eh bien je suis bien < > pour vous toutes[6]. Une bien grande tranquillité pour nous < >.
Edgar m'écrit, tout belliqueux qu'il soit, qu'en cas – il engagerait Émilie[7] à venir ici. Mais nous n'y sommes pas & ici elle serait moins bien que chez elle.
Emilie aussi m'écrit qu'elle a refusé de prêter 1 000 F aux sœurs des vieillards de Colmar & par conséquent ne peut pas m'être utile pour caser mon pauvre homme. Je vais directement faire une tentative. Elle regrette, toujours de plus en plus, d'avoir cet immeuble sur les bras. C'est la maison qui la retient Colmar, autrement je crois qu'ils auraient quitté.
Je lis que dans 15 jours ce sont les élections municipales. Entre-temps probablement le départ de la mobile. Enfin à la maison toujours beaucoup à faire & voir. La Préfecture n'en peut plus. même mouvement de troupes sur les chemins de fer. Le transport de marchandises n'a pas repris, l'on me dit qu'il y a sur Paris 2 départs par jour. Pour ici toujours qu'un montant & l'autre descendant. Avec cela tout horriblement cher. l'on m'assure qu'à Strasbourg l'on paie le sac de pommes de terre 30 F, le sucre 1.25 la livre etc. Du reste cette année l'on paiera le sucre très cher ; déjà bien des personnes ont fait provision.
Par mes lettres, tu vois que je suis toujours avec vous & < > que si je n'avais pas boutique, je ne serais pas Maire & serais par contre bien tranquillement à chercher comme les enfants, la petite <bête>, la santé ne s'en trouverait pas plus mal. Et bien sûr mon ambition serait amplement satisfaite ; mais puisque ce ne peut être, j'ai tort d'y penser.
Dimanche 2 h soir. J'ai bien reçu ta lettre que tu <m'écris> sur le bateau de Dinard. Je vois que vous allez bien tous, que les enfants sont toujours contentes. Il ne peut ma petite <amie> être question de votre retour ici. attendez patiemment que vous puissiez le faire. Le courrier de Paris n'est pas venu ce matin, il a eu un grand retard. J'attends encore une lettre de Dugué < > je me mettrai en route. Du 5 au 10 août il y a tirage au sort de < > Si je n'y suis pas peu importe. Tu embrasseras bien les <petites> fillettes comme je t'embrasse ma petite Nie chérie
tout à toi
Charles M.
Je pensais passer une partie de ma matinée avec toi, mais tout a été contre cela. J'ai du reste passé 2 h au laboratoire faire un essai que Léon devait faire depuis des mois. A 4 h je me fais conduire à Wattwiller où il y a réunion administrative.
Je regrette bien de ne pas pouvoir écrire à mes petites filles chéries ; mais j'ai si peu de temps, je les embrasse une fois de plus espérant toujours les voir bientôt. < >.
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 23 et dimanche 24 juillet 1870. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_23_et_dimanche_24_juillet_1870&oldid=61029 (accédée le 14 novembre 2024).
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