Samedi 22 février 1879
Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Samedi 22 Février 1879.
Mon cher papa,
Voilà la petite infortunée qui vient elle-même te dire qu’elle va bien et te promettre qu’elle ne recommencera plus pareille folie, elle en a du reste été assez punie. Tu sais que c’était hier qu’avait lieu le bal de l’Observatoire[1], il paraît que c’était splendide et Marie[2] qui n’est rentrée qu’à trois heures et demie ce matin s’est beaucoup amusée et a dansé tout le temps. Pendant ce temps-là moi j’étais tristement couchée et Marie avait eu beau me [promettre] qu’elle s’amuserait pour elle et pour moi, je ne dansais pas du tout ; au lieu de me trémousser je dormais, et à mon avis ce n’est pas aussi amusant. Je n’ai pas eu de chance d’avoir mal à la gorge juste cette semaine où les Brongniart sont venus dîner avec Hortense et Jeanne[3] et où il y a eu un bal des plus amusants. Mais maintenant je vais très bien, je suis levée et je me conduis de nouveau comme tout le monde.
La soirée d’hier a, paraît-il, débuté par des projections expliquées dans une sorte de conférence par M. Wolf[4] l’astronome ; une des choses qui a le plus amusé Marie c’est le phonographe auquel on a fait dire toutes sortes de choses et qui les répétait le plus drôlement du monde avec sa voix de [ ]. Je regrette beaucoup de ne pas l’avoir entendu car j’ai très envie de connaître cet instrument nouveau dont j’ai tant entendu parler l’année dernière. Il paraît que dans les vastes appartements de l’Observatoire il y a des téléphones qui vont d’un bout à l’autre et que tout le monde s’empresse de faire fonctionner, et qu’au bout d’une galerie il y avait un appareil dressé pour donner des commotions électriques à qui désirait en recevoir. Marie s’est prudemment éloignée, comme bien tu penses.
Ce pauvre oncle[5] continue toujours ses visites de candidats[6] et tu sais que ce n’est pas pour son plus grand bonheur, car il n’aime pas beaucoup faire des visites et celles-là sont encore plus particulièrement ennuyeuses, mais les choses marchent très bien : hier soir il a encore reçu deux la promesse de deux nouvelles voix, celle de M. Mouchez[7] entre autres. Aujourd’hui il a dû recommencer une nouvelle tournée après son cours. Pauvre oncle !!
Marthe[8] est avec moi en ce moment, elle vient de se mettre à travailler et j’en ai profité pour t’écrire. Marie est au cours de géographie[9]. Hier soir pendant qu’elle s’habillait et que j’étais dans mon lit, je me suis beaucoup amusée à lire ou plutôt à dévorer les Barricades de M. Vitet[10], aujourd’hui j’ai commencé les Etats de Blois[11] : c’est tout à fait dans le genre de cette Saint-Barthélemy[12] qu’oncle nous avait envoyée et que nous lisions tout haut à Vieux-Thann. Tu vois que je profite des rares moments où j’ai un peu l’air souffrant pour me dépêcher de lire quelque chose d’amusant ce qui m’arrive bien rarement en dehors des vacances.
Adieu mon bon père chéri, je t’aime de tout mon cœur et je t’embrasse bien fort ainsi que bon-papa et bonne-maman[13].
Ta fille,
Emilie
J’ai appris avec grand plaisir par une lettre de bonne-maman adressée à tante[14] qu’oncle Léon[15] revenait demain, j’espère que ton départ suivra de près son arrivée ; il y a si longtemps que nous ne t’avons vu.
Notes
- ↑ Voir la lettre des 23/24 février.
- ↑ Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
- ↑ Hortense et Jeanne Duval.
- ↑ Charles Wolf.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards, candidat à la succession de Paul Gervais à l’Institut.
- ↑ Ernest Mouchez.
- ↑ Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Cours de géographie donné par Caroline Kleinhans.
- ↑ Ludovic Vitet (1802-1873), Les Barricades. Scènes historiques. Mai 1588 (plusieurs éditions depuis 1826) ; les faits historiques sont présentés sous la forme d’une pièce de théâtre.
- ↑ Ludovic Vitet, Les États de Blois, ou la Mort de MM. de Guise, scènes historiques, décembre 1588 (plusieurs éditions depuis 1827).
- ↑ Hypothèse : La Saint-Barthélemy, drame de Charles de Rémusat (1797-1875) publié par Paul de Rémusat en 1878.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Léon Duméril, en voyage d’affaires à Berlin.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 22 février 1879. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_22_f%C3%A9vrier_1879&oldid=35476 (accédée le 14 novembre 2024).
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