Samedi 20 janvier 1883

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris)


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20 Janvier 1883.

Ma chère Marie,

Tu viens sans doute de voir notre chère petite tante[1], et il me semble entendre toutes les questions que tu lui as adressées sur Vieux-Thann et ses habitants. Elle t’aura porté aussi les jolis camélias qu’elle a cueillis pour toi hier matin, ils viennent à propos pour fêter l’anniversaire du 21 janvier[2] ; moi non plus, je n’ai pas oublié cette belle date et je viens t’embrasser tout exprès. Tu vois que j’ai fait bien des progrès car depuis il y a 3 ans je ne qualifiais pas du tout cette date de belle, je l’aurais plutôt appelée horrible et j’aurais volontiers envoyé promener ce M. de Fréville qui me prenait ma petite Marie, mais depuis j’ai changé d’avis et je ne donnerais ni Marcel, ni mon petit Jeannot chéri[3], ni Robert[4] même que je ne connais pas, pour te ravoir tout à fait. Quatre personnes à aimer au lieu d’une, cela vaut bien la peine. Cependant je t’avoue que j’ai grande envie de te revoir et je me dis souvent que ce serait bien agréable en ce moment si nous étions deux comme autrefois, surtout depuis le départ de tante car papa[5] n’aime pas beaucoup à quitter son bon cabinet chaud et il trouve avec raison qu’il est inutile de venir dans la salle à manger pour prendre son bouillon ou son lait et ses œufs ; le fait est que cela n’a rien d’agréable, quand on n’a pas bien faim, d’assister à un repas auquel on ne prend point de part. Je prends donc mes repas toute seule, comme un vieux garçon, n’ayant pour toute compagnie que Cécile[6] qui clopine autour de la table et vient de temps en temps, sans crier gare, renverser un plat dans mon assiette. Le procédé est rapide et peut-être commode, pourtant je ne le recommande pas, et je ne compte pas le pratiquer dans mon ménage. Bonne-maman[7] m’avait très aimablement offert de venir prendre ses repas avec moi, mais je n’ai pas accepté, ils ne sont d’ailleurs pas assez longs pour que j’aie le temps de m’ennuyer.

Je t’écris auprès de papa, assise à son bureau, pendant qu’il feuillette une revue allemande. M. Jaeglé[8] me monte ta lettre à l’instant ; merci mille fois de tout ce que tu me dis, les histoires de Jeanne ont bien amusé papa et le résultat de ses réflexions est que « deux enfants donnent bien du fil à retordre ! », tu es peut-être un peu de son avis, mais tu ne te plains pas, et je ne te plains pas davantage.

Nous avons depuis hier un temps splendide aussi en avons-nous profité hier pour faire une promenade en voiture, malheureusement papa a tenu à garder les 2 glaces ouvertes pour avoir plus d’air et en rentrant il avait un peu froid. Il s’est couché de bonne heure et ce matin il ne s’en ressent pas ; il a pris avant de se lever une purgation aussi je m’attends à ce qu’il soit un peu plus fatigué aujourd’hui. Le docteur[9] vient l’électriser tous les matins à 8h, j’en profite pour aller à la messe, puis pendant que papa s’habillait ce matin, j’ai été marcher avec bon-papa[10] ; il faisait un bon petit air froid qui vous gelait les oreilles et qui aurait été tout à fait de ton goût. Je ne sais si l’huile de ricin nous permettra de sortir en voiture dans la journée. Adieu petite sœur chérie, je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime ; moi aussi je voudrais bien que tu puisses venir nous retrouver, car j’ai beau faire comme la grenouille de La Fontaine[11], je parviens difficilement à remplir ta place et la mienne. Embrasse bien pour moi les chers petits et fais mes [aimables] amitiés à Marcel.

Émilie


Notes

  1. Aglaé Desnoyers, épouse d'Alphonse Milne-Edwards, de retour à Paris après son séjour à Vieux-thann.
  2. Marie « a dit son oui » à Marcel de Fréville le 21 janvier 1880.
  3. Jeanne de Fréville.
  4. Le nouveau-né Robert de Fréville.
  5. Charles Mertzdorff.
  6. Cécile Besançon, sa bonne depuis l'enfance.
  7. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  8. Frédéric Eugène Jaeglé.
  9. Le docteur Louis Disqué.
  10. Louis Daniel Constant Duméril.
  11. Le fable de Jean de La Fontaine, « La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf ».

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Samedi 20 janvier 1883. Lettre d’Émilie Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_20_janvier_1883&oldid=35453 (accédée le 19 avril 2024).

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