Samedi 16 juillet 1870 (B)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé)
CHARLES MERTZDORFF
AU VIEUX THANN
Haut-Rhin[1]
Samedi Soir
Ma chère petite Nie
N'ayant que très peu à t'apprendre je prends un petit papier. Je me suis du reste trouvé un peu fatigué cet après-midi & me suis donné de suite après mon dîner une bonne sieste d'une heure.
Pour un peu remuer, j'étais aux deux sources, celle du pré au-dessus du jardin est à peu près réduite à Zéro.
celle des vignes au contraire maintient une bonne quantité d'Eau, & son lit monte pas mal dans la montagne. Cela nous permettra de la conduire chez nous, sans crainte de la perdre de nouveau. Mais il ne peut encore être question de la monter un étage & n'y compte même pas.
Quoique j'aimerais bien passer mon dimanche à la maison, je crois que j'irai à Morschwiller rendre visite à ces pauvres gens[2]. L'on m'a renvoyé Vogt ; il paraît que le médecin n'aime pas la promenade en voiture & le malade lui-même s'en trouve fatigué. D'un autre côté comme tout n'est pas encore rentré dans l'ordre je voudrais être ici pour le Dimanche qui peut bien ne pas se passer sans quelque ennui à Cernay & Thann.
Je remettrais ma visite à Lundi. Pendant ces quelques mauvais jours Georges & sa femme[3] ont interrompu leurs bains, Lundi ils reprendront, pour cela ils quittent à 5 h matin & à 8 ½ h sont rentrés.
Jean[4] passe sa journée à gratter & frotter les parquets. ce soir je l'ai trouvé dans la grande salle à manger grattant avec un verre les taches. Du reste tout est luisant & glissant ! Les tonneaux de la cave sont vides, Nanette[5] me dit avoir eu des jours de 80 litres !
La pluie menaçait, aujourd'hui chaleur extrême, baromètre Variable & pluie Zéro.
Nous sommes pourvu de pièces & avons à faire enlever à Mulhouse pas mal. Mais ne pouvons pas expédier, le chemin de fer n'acceptant rien.
Une maison de Paris nous écrit pour qu'on lui adresse ses balles à Paris, trouvant qu'elles sont trop exposées sur la frontière du Rhin.
J'aurai moi-même à prendre mes mesures & décliner toute responsabilité par suite de dégâts prussiens.
Je m'attends à être dans notre district bien malmené, si cette grande loterie la guerre tourne contre nous.
Que de maux pour un amour-propre ! & un baptême de sang d'un prince[6] mi-sang ?
Enfin l'on dit cette guerre populaire & nécessaire, à <Lure> un Curé l'a soutenu à mon passage ; Que je suis peu religieux !
7 1/2 h.
Maintenant les ouvriers sortent à 6 h au lieu de 7 h, ils ont donc une heure de travail de moins, par contre le goûter est supprimé. ce qui fait que le souper se fait plus tôt & cela permet d'aller un peu au Jardin que je n'ai pas encore vu.
Demain Dimanche ma lettre doit être mise à la poste le matin. Je ne vois du reste plus rien en fait de nouvelles. Cette perspective de guerre me brouille les idées.
Je t'embrasse bien avec mes petites filles[7] que tu câlineras un peu pour moi. J'espère toujours pour en manger un Morceau de chacune dans peu de jours. Sinon cette semaine, la prochaine pour sûr – si le pour sûr était pour nous !
tout à toi & ceux qui t'entourent
Charles Mertzdorff
Je me décide à rester ici demain. J'espère un peu voir Léon[8] ici. Lundi j'irai à Morschwiller.
Notes
- ↑ En-tête imprimé.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité, qui reçoivent Auguste Duméril (« le malade ») et son épouse Eugénie.
- ↑ Georges Heuchel et son épouse Elisabeth Schirmer.
- ↑ Jean, employé chez les Mertzdorff.
- ↑ Annette, employée chez les Mertzdorff.
- ↑ Le prince impérial Louis Napoléon Bonaparte (1856-1879), fils de Napoléon III.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Léon Duméril.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 16 juillet 1870 (B). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à son épouse Eugénie Desnoyers (Paramé) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_16_juillet_1870_(B)&oldid=51620 (accédée le 18 décembre 2024).
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