Samedi 16 et dimanche 17 juillet 1870 (C)
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Samedi soir 16 Juillet
Mon cher Charles,
Avec quel bonheur ton écriture a été reconnue ce soir et avec quelle avidité nous avons lu les détails que tu nous donnes. J'admire que tu aies pu, au milieu de tant d'occupations, trouver le temps de nous écrire aussi longuement, je t'en remercie bien, car tu devines que ma pensée ne te quitte guère. Et puis quelle nouvelle préoccupation, la guerre déclarée ! Cet après-midi M. Hovius nous disait que le bruit circulait que nos troupes s'étaient emparées du pont de Kehl et que les premiers coups de fusils étaient tirés ? De quel côté se dirigeront les armées ; notre pays ne sera-t-il pas un point ? Et à quel moment ? toi là-bas, nous ici ; Je voudrais être près de toi, et je sens bien que mes fillettes[1] ont besoin de moi, et que la mer leur fait du bien...
Ce soir elles ont embrassé ta lettre en disant bonsoir petit père, puis Marie a été chercher ton portrait qu'elle a apporté de Vieux-Thann pour que nous le regardions ensemble.
Pour te faire plaisir je te dirai qu'elles ont bien ri ce soir, l'oncle[2] les a taquinées tout gentiment et ce fou rire n'a pas cessé de tout le dîner. L'après-midi s'est passée dans les rochers où nous avons été battus du vent aussi ce soir sommes-nous tous avec des mines superbes. Marie sautait de joie dans son lit à la pensée de voir Hortense[3] demain soir. C'est heureux pour nous que l'arrivée d'Hortense car impossible que nos fillettes ne sentent pas et ne voient pas nos préoccupations ; et il est bien bon que leur petit imagination qu'elles soient occupées d'autres choses.
Ce que tu me dis de nos ouvriers me fait plaisir, c'est si triste de voir toujours interpréter tout ce qu'on fait avec une idée d'intérêt, je suis heureuse qu'ils aient été convenables avec toi qui les traite comme tes enfants et es si bon pour eux. Mais cette effervescence est incroyable. La guerre va probablement détourner les esprits, mais après... Nous vivons dans un triste temps. Babylone, Babylone. On se croirait au temps du prophète Jérémie.
Espérons que le bon Dieu aura pitié de son peuple.
Tu dois avoir eu tant d'émotions depuis quelques jours que je te vois bien fatigué et ayant besoin déjà de repos et cela va encore te manquer. Comme tu dis nous ne sommes pas sur la terre pour nous amuser, chacun doit accomplir sa tâche ; heureux quand, comme toi, on sait si bien la remplir. Bonsoir Ami chéri, je t'embrasse du fond du cœur
ta petite femme
EM
Dimanche 10 h ½
Après la lecture du journal on est encore plus avide de nouvelles, et mais il faut encore attendre quelques jours. Les bruits rapportés par M. Hovius sont démentis il n'y a rien <d'entamé>, je pense que c'est plutôt au Nord de Strasbourg qu'auront lieu les hostilités ?...
Nous n'avons pas de lettre de Paris, nous attendons donc ce soir Hortense et Julien[4]. Nous craignons bien que la classe de Julien ne soit rappelée‚ quoi qu'on ne l'ait jamais appelé pour l'exercice[5]. A Morschwiller sont-ils malheureux[6] ? Ils feraient bien de faire venir Adèle[7].
Ce matin nous sommes allées à la messe de 7 h, puis chacun a lisotté, la mer est assez forte, le temps superbe mais vent N. E. assez froid, on ne prendra le bain que ce soir à 5 h avant d'aller au chemin de fer.
Nos bonnes petites filles vont bien, on travaille à la collection d'algues de père, comme elles disent ; je câline en ce moment ma petite Founi de la main gauche, et Marie m'attend pour que nous jouions à 4 mains. Tu sais, cher Ami, le reste de notre vie, c'est à toi que je pense aux prises avec les difficultés, et le soir seul dans notre grande maison. Sois sûr que nos cœurs sont avec toi
ta Nie
Mes amitiés à oncle et tante Georges[8]
Je suis bien contente que tu aies trouvé tout en ordre à la maison, dis un petit mot de ma part à Nanette et Thérèse[9].
Je comprends que les Vieux Thannois soient contents de ton retour ; c'était utile à plus d'un point de vue pour la mairie et pour les industries.
Notes
- ↑ Marie et Emilie (Founi) Mertzdorff.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Hortense Duval.
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ Julien Desnoyers est mobilisable dans la garde mobile.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité reçoivent à Morschwiller Auguste Duméril (malade) et son épouse Eugénie.
- ↑ Adèle Duméril, fille d’Auguste et Eugénie, et épouse de Félix Soleil.
- ↑ Elisabeth Schirmer et son époux Georges Heuchel.
- ↑ Annette et Thérèse Neeff, domestiques chez les Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 16 et dimanche 17 juillet 1870 (C). Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paramé) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_16_et_dimanche_17_juillet_1870_(C)&oldid=51662 (accédée le 18 décembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.