Samedi 11 novembre 1876
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Ma chère Marie.
Il fait un froid de loup. -7° ce matin ! Nous sommes loin de Biarritz[1] & l’on n’a pas tort de le regretter. Avec cela que nous sommes encore sans toits sur plusieurs bâtiments & tout y gèle.
Je n’avais pas tord de m’inquiéter lorsque nous étions si bien dans les Pyrénées. Par ces grands froids il n’est pas aisé de construire & cependant il faut que cela se fasse. Les pauvres gens qui travaillent ainsi sont engourdis & font peu & il y a toujours un peu plus de danger pour les accidents. Aussi ne suis-je pas content & rend la vie un peu dure à nos ingénieurs trop indolents & imprévoyants.
Cet après dîner que je vais à Mulhouse pour rentrer à 7h ce soir & demain je dîne chez Mme Berger[2]. Autant de raisons pour t’adresser un petit mot ce matin pour te remercier de ta bonne lettre reçue hier matin & qui a couché cette nuit au Moulin, car tous les jours bon-papa[3] vient récolter les nouvelles.
Tu comprends combien je suis content de ce que M. Mandl[4] dit de ta gorge quelques petits soins & tout ira au mieux. Pauvre Aglaé[5] qui va être forcée de se soigner comment fera-t elle ? c’est un grand ennui que d’avoir toujours à penser à sa santé & d’avoir à prendre des soins & cependant lorsqu’il le faut, s’y résigner est un devoir.
Si tu peux continuer tes douches si - si - si ennuyeuses à prendre & si - si - si méritoires à persister j’ai le meilleur espoir que tu passeras un très bon hiver. Je t’assure que je pense souvent à toi & ton courage que l’on ne soupçonnait pas ?? Quoique je voie beaucoup de personnes qui se donnent cette désagréable ablution & qui toutes s’en trouvent bien.
Tu as été comme tu l’es du reste toujours bien gentille d’avoir pensé à ton papa & lui avoir adressé un de tes chefs-d’œuvre, je t’assure que je constate un bon petit progrès, car je trouve la tête très bien ombrée. Il sera temps de commencer à dessiner d’après nature, qu’en pense Mlle Duponchel[6] ?
Nanette[7] a reçu une dépêche de son fils qui viendra la prendre Vendredi prochain je ne suis pas fâché d’être ici au moment de son départ. je préfère régler son Compte moi-même que de le laisser à Oncle Georges[8] & lui dire adieu. Elle va assez bien pour le moment, mais je crains bien qu’en Algérie cet été elle ne soit bien souffrante. Du reste cela me semble qu’elle en a un pressentiment car elle quitte bien à regret.
Comment ira mon ménage après je n’en sais trop rien & l’expérience va se faire, mais cela est un petit détail qui n’a pas grande importance. Thérèse[9] sera toujours aux petits soins pour moi & elle est solide.
M. & Mme Léonce Berger[10] ont loué un appartement à Paris, ils s’ennuyaient à Law & par ce motif quittent les affaires pour les laisser à leurs frères[11] ; ils vont quitter encore ce mois-ci je crois, du reste je les verrai demain.
Tu sais qu’il y a quelques jours un accident grave de chemin de fer est arrivé entre Belfort & Mulhouse un homme tué[12] & plusieurs blessés. c’était après la Toussaint. les jeunes collégiens alsaciens rentraient après une vacance de 2 jours. Tous ces garçons n’ont rien eu. Louis Berger[13] devait aussi prendre ce convoi, mais l’ayant manqué il n’a pris que le dernier ne s’est donc pas trouvé dans la bagarre ; mais un moment l’on avait des craintes.
Vous allez avoir bien froid pour opérer votre déménagement qui se fera d’après ce que je vois la semaine prochaine ? Je comprends que votre maison ne soit plus très habitable & que vous tous n’y soyez plus très confortablement. La nouvelle ne vous semblera que d’autant plus agréablement ; pourvu que vous ne preniez pas froid & que la maison ne soit plus humide lorsque vous y entrerez. Comme c’est encore notre chère Aglaé qui aura la plus lourde charge dans ce transvasement, que c’est elle qui va le plus se fatiguer, & sera la plus exposée avec sa gorge déjà malade, c’est pour elle surtout que je m’inquiète. Elle aura bien plus soin des mouches du coche que d’elle même.
J’embrasse tous du fond de mon cœur
ton père qui t’aime Chs Mertzdorff
Notes
- ↑ La famille a passé l’été à Biarritz après la cure à Cauterets.
- ↑ Joséphine André, épouse de Louis Berger.
- ↑ Louis Daniel Constant Duméril.
- ↑ Le docteur Louis Mandl.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Marie Louise Duponchel, professeur de dessin.
- ↑ Annette, cuisinière chez Charles Mertzdorff, qui doit partir en Algérie auprès de son fils.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Thérèse Neeff.
- ↑ Léonce Berger et son épouse Julie André.
- ↑ Probablement Louis Berger, époux de Joséphine André, et Jules André.
- ↑ Charles Mertzdorff écrit : « tuyé ». La victime est Prosper Lévy, de Colmar (voir Le Temps du [novembre 1876]).
- ↑ Louis Jules Berger.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Samedi 11 novembre 1876. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_11_novembre_1876&oldid=35313 (accédée le 6 décembre 2024).
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