Mercredi 4 mai 1864

De Une correspondance familiale

Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Colmar, au retour de voyage de noces) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)


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Colmar 4 Mai 64

Ma chère petite Gla,

Ces trois jours je n’ai pas pu prendre la plume, mais vous vous y attendiez et je suis sûre que vous ne m’en voulez pas de ce tout petit silence. J’ai tant pensé à vous ; vos chères lettres, à maman[1] et à toi, m’ont été de si agréables compagnes de voyage que votre cœur a dû vous dire quelque chose de ma joie en les lisant et nous étions ensemble malgré la séparation.

Le mauvais temps s’est déclaré Lundi. Bade pleurait notre départ au dire de Mimi[2] cependant nous avons fait très bon voyage, et nous sommes depuis avant-hier ici où nous (c’est à dire moi) avons reçu très bon accueil[3] ; je crois que ça ira très bien aussi de ce côté. Mais je veux te donner un journal exact.

Dimanche ouverture de la saison à Bade. Nous sommes restés dans la ville sans entreprendre de promenade au loin. A 3 h musique dans les Jardins, peu d’élégance, il n’y a encore que les Badois et les Strasbourgeois qui ornent les salons. Les étrangers arrivent <après> aussi les jeux peu animés cependant le soir lorsque Cécile[4] et les enfants furent rentrés Charles[5] et moi nous allâmes tenter la fortune mais comme elle ne nous parut pas disposée en notre faveur nous eûmes bientôt abandonné le tapis vert, sans désespoir car le bénéfice de Bénazet[6] n’était pas digne de notre désespoir.

Lundi dès 9 h 1/2 nos caisses étaient faites, nous étions habillés et en attendant le dîner et l’heure du départ nous avons joué sur le pont d’Avignon, nous avons dansé en véritables gens qui fort tranquilles croient n’avoir rien oublié, mais si tu savais la fin de l’histoire tu rirais bien de nos têtes légères qui pendant 5 h ne pensent pas à ne pas oublier le plus utile. Enfin nous partons, on me remet vos bonnes lettres, notre maître d’hôtel apporte aux enfants et à moi de charmants bouquets et nous souhaite bon voyage et bon retour. Nous avons été bien et pas chèrement à l’hôtel du cerf et cependant je crois qu’en pleine saison nous irions plutôt à l’hôtel de Russie qui n’était pas encore ouvert et que Charles connaît depuis longtemps et qui doit bien plus vous écorcher ; cependant nous n’avons eu à nous plaindre de rien, tout l’hôtel était au petit soin pour nous, seulement c’est moins fashionable.

3 h moins 10 mn. nous sommes en gare, le bureau va s’ouvrir, nous n’avons plus qu’à prendre nos billets lorsque Charles s’approche de moi et me dit que nous avons oublié seulement le sac de réserve (5 000 F) dans le secrétaire, le voilà reparti, il pleuvait très fort, enfin <il revient> encore à temps pour m’éviter l’ennui de prendre les billets, car je ne parle pas encore couramment l’allemand ! mais ce n’était pas tout, un garçon de l’hôtel paraît avec un paquet de linge ; c’étaient les seules chemises blanches de Monsieur que nous avions fait blanchir tout exprès pour Colmar ! hein que penses-tu de ces gens raisonnables dont tout le monde loue le calme et la prudence ! L’aventure nous a fait rire, car elle n’a amené aucune contrariété, et m’a amusée en pensant que je pourrais te la conter.

A 5 h à Strasbourg, nous faisons le tour extérieur de la cathédrale. Mimi a une telle frayeur des voitures des chiens, que Founichon de son côté qui ne veut pas perdre de vue Cécile, enfin, si nous devions rester encore longtemps en voyage je crois que les rôles seraient changés et que les enfants deviendraient complètement nos maîtres, mais nous sommes bien décidés tous les trois à ne pas gâter ces charmantes petites créatures et une fois à la maison nous ne voulons plus <céder> elles sont toujours de plus en plus gentilles avec moi. La tante Zaepffel[7] est charmante, elle nous a reçus très affectueusement et très magnifiquement. Sa maison est très bien ordonnée et très élégamment meublée. Nous ne parlons que de plans de maison, ils vont faire construire. On me parle beaucoup de vous et d’une manière qui m’est agréable.

1 h- Mes deux filles sont sur le trône, je les garde pendant que Cécile dîne ; nous sortons de table et je profite de la circonstance pour fermer ce griffonnage. Charles n’a pas dîné avec nous, je ne sais à quelle heure il rentrera ; il assiste aux assises, et la séance doit être longue ; il s’agit de juger les incendiaires du Moulin ; et à cause de la prime qu’il a promise à ceux qui découvriraient les coupables il tient à être bien au courant de l’affaire. Nous rentrerons demain soir au Vieux-Thann. Nous n’avions pas pensé à la fête je me croyais de 8 jours plus jeune ; quelle tête ! n’est-ce pas. Nous préférons arriver le soir, on verra assez tôt la bête < > arrivant tout droit du Jardin des Plantes.

Ce que tu me dis d’Amélie[8] me préoccupe : espérons que cette fois ça ira bien, fais-lui bien mes amitiés lorsque tu lui écriras. J’espère que tu ne m’oublies pas auprès de tous ceux à qui de droit.

On attend ma lettre. Hier nous sommes allés faire visite aux sœur et belles-sœurs de M. Zaepffel. Voilà le commencement. Aujourd’hui nous devons sortir < >

Adieu, Ma chérie, je t’embrasse comme je voudrais tant le faire et te prie d’en faire autant à notre chère Maman.

Charles me recommande toujours d’envoyer à la bonne Aglaé toutes ses amitiés et de la prier d’être notre interprète auprès de son cher mari[9] que nous aimons aussi beaucoup.

Sœur amie, Eugénie.


Notes

  1. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  2. Marie (Mimi) Mertzdorff, fille du premier mariage de Charles.
  3. La sœur de Charles, Emilie Mertzdorff, et son époux Edgar Zaepffel résident à Colmar.
  4. Cécile, domestique attachée au service des petites Marie et Émilie (Founichon) Mertzdorff.
  5. Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie.
  6. Edouard Bénazet, directeur des jeux de Bade, fils de Jacques qui vint s’installer à Bade en 1837 après la fermeture des maisons de jeux du Palais Royal à Paris.
  7. Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel et sœur de Charles.
  8. Amélie Desmanèches, épouse d’Emile Delapalme, a précédemment perdu un enfant à la naissance.
  9. Alphonse Milne-Edwards.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 4 mai 1864. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (Colmar, au retour de voyage de noces) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_4_mai_1864&oldid=57007 (accédée le 21 novembre 2024).

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