Jeudi 28 avril 1864

De Une correspondance familiale


Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (en voyage de noces à Baden-Baden) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris)


Original de la lettre 1864-04-28-pages1-4.jpg Original de la lettre 1864-04-28-pages2-3.jpg Original de la lettre 1864-04-28-pages5-6.jpg


Bade 28 Avril 1864

Je suis bien contente, ma chère petite Gla, de savoir ton mari[1] de retour auprès de toi. La diligence qu’Alphonse <a> mise dans son expédition en Angleterre prouve combien il est heureux près de sa petite femme, et qu’il fallait bien qu’il y eût impossibilité de remettre son voyage pour qu’il se soit décidé à partir le 20.

Combien je pense à toi ma Chérie, et à Maman[2]. Si vous saviez combien de fois vos noms sont prononcés par jour dans notre petit cercle. Souvent Charles[3] me dit : comme la bonne Aglaé pense à nous j’en suis sûr, comme tu serais contente de lui raconter notre vie. Je crois qu’il ne se trompe pas dans ses suppositions, et je ne doute pas que souvent nous ne nous rencontrions sur la route qui nous sépare. Je voudrais te donner un journal exact de nos journées[4] de façon à ce que tu puisses vraiment nous suivre, mais tout ce que je pourrais t’écrire serait très imparfait et les souvenirs, la vie présente <t’en> diront beaucoup plus que mon griffonnage, aussi à toi de dire à Maman ce que je n’écris pas car vois-tu c’est une copie conforme et de plus les deux petites chéries[5] qui viennent me croquer. Tu vois le tableau ! Les deux premiers jours j’étais très fatiguée et avais très mauvaise mine mais maintenant je vais parfaitement, mange comme quatre et suis redevenue moi. Nous menons une véritable vie de paresseux, dormant, mangeant et respirant le grand air, et le régime me convient à ce qu’il paraît, car autour de moi on est content. Cécile[6] est on ne peut mieux, tout notre temps se passe avec elle et vraiment elle est d’une discrétion si naturelle que sa présence ne nous est pas à charge. La brave fille, dans le commencement me voyait un air si intimidé qu’elle aurait voulu m’encourager, aussi bien, en me voyant rire avec Charles et nous taquiner un peu mutuellement, elle m’a dit d’un air tout heureux : « Madame est contente aujourd’hui : ça fait plaisir ! » C’est comme je leur ai répondu : savez-vous que j’en quittais beaucoup que j’aime et rien n’étouffe tant que l’émotion rentrée. Tu ne peux pas te figurer le bonheur que j’ai à recevoir vos lettres ; la preuve que vous n’oubliez pas votre Nie m’est si douce. Dis à maman toute la joie que m’a donnée sa lettre, je l’ai lue et relue et jamais je n’en ai assez, écrivez-moi, écrivez-moi.

Merci pour tout le mal que vous vous êtes donné pour mes affaires ; quand ça se trouvera fais acheter plusieurs feuilles de bon papier buvard pour mon buvard, puis sais-tu si Mme Bourrelier a eu une ceinture pour ma robe grise à < > bleus ; puis voudras-tu faire acheter la partition du Trouvère[7] pour piano seul. Tout cela pas pressé seulement afin que tu puisses le joindre à n’importe quel envoi à l’occasion.

Voilà déjà 10 h 20 et je n’écris qu’à toi. Je me suis levée à 8 h, tous les soirs nous sommes <matinals> mais nous ne nous réveillons pas. 8 h 1/2 déjeuner chocolat café (selon les goûts) et le tout servi dans le grand salon qui sépare notre chambre de la chambre occupée par Cécile et les enfants, Mme en robe de chambre ; arrivée des lettres de Thann, ce matin une d’Alfred[8] très aimable en réponse aux nôtres ; puis correspondance ; 10 h 1/2 toilette. 1 h 1/2 promenade dans la ville. 1 h dîner à table d’hôte, nous sommes presque seuls, on sait très bien qui nous sommes et on nous traite très bien. 2 h arrivée des chères lettres de Paris et chacun de faire des paris contre maman. Mimi trouve Julien[9] bien paresseux, on <mimi> m’a recommandé de lui dire qu’on avait mangé beaucoup de grandes asperges comme lui. 3 h Départ pour la promenade, promenade plus ou moins longue à pied ou en voiture. Avant-hier à l’abbaye de Lichtenthal[10] où nous avons pris du lait et retour à pied. L’autre avant-hier à une petite fontaine où il y a quantité d’oiseaux que les promeneurs n’effraient pas. Hier grande course au château d’Eberstein. Nous avons tous été enchantés de ce petit <tour> qui m’a rappelé notre jolie course d’< >. 7 h retour à l’hôtel, 4e repas souper servi dans notre appartement. 8 h ½-9 h nous couchons les enfants puis Charles et moi nous restons un peu à causer sur le canapé, on se couche vers 10 h et souvent on continue encore à causer de vous tous car c’est là mon sujet favori et de sa famille. <Le> lendemain de recommencer.

Nous quitterons <Bade> Lundi à 3 h. nous nous arrêterons 3 h à Strasbourg et nous serons à 8 h à Colmar. Les Zaepffel[11] insistent tant pour que nous allions les voir que nous craindrions de les fâcher en refusant de nous arrêter au passage ; nous resterons le Mardi et le Mercredi avec eux et rentrerons le soir à Thann. L’oncle Georges[12] écrit que les travaux vont être terminés et que la bonbonnière que Charles a voulu faire arranger pour <sa chère Eugénie serait> très bien. C’est une attention à laquelle je suis très sensible, au reste je serais bien ingrate si je ne me trouvais pas heureuse.

Adieu, ma chère chère petite Gla. Ne te fatigue pas trop, ménage-toi pour remettre complètement cette chère santé. Voilà que je me suis oubliée auprès de toi et je n’ai pas encore écrit à Mme Mertzdorff[13], à Mme Duméril[14] et à tante Zaepffel, cependant il faut que je m’exécute.

Embrasse bien tous les nôtres sans oublier ton cher mari qui m’a toujours montré une affection que je lui rends bien et qui ne s’effacera pas j’espère. Charles vient <de> venir exprès m’embrasser pour toi ainsi il ne faut pas que j’oublie sa commission de bien tendres caresses pour ma petite Gla.

de la part de la sœur amie.

Mes petites filles envoient leurs amitiés à tante Aglaé ; les canards sont l’œuvre de Mimi.

E.M.


Notes

  1. Alphonse Milne-Edwards.
  2. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  3. Charles Mertzdorff, époux d’Eugénie Desnoyers.
  4. Voir la chronologie de ce voyage rédigée par Eugénie Desnoyers.
  5. Marie (Mimi) et Emilie Mertzdorff, filles du premier mariage de Charles.
  6. Cécile, bonne des fillettes.
  7. Le Trouvère (Il Trovatore) est un opéra en quatre actes de Giuseppe Verdi, sur un livret de Cammarano et Bardare. Créé à Rome en 1853, il est représenté à Paris dans sa version italienne en 1854, puis, remanié par Verdi, en version française, en 1857.
  8. Alfred Desnoyers, frère aîné d’Eugénie et Aglaé.
  9. Julien Desnoyers, jeune frère d’Eugénie et Aglaé.
  10. Lichtenthal est une abbaye cistercienne, largement remaniée depuis sa fondation au milieu du XIIIe siècle.
  11. Emilie Mertzdorff, sœur de Charles, et son époux Edgar Zaepffel.
  12. Georges Heuchel, oncle de Charles Mertzdorff.
  13. Marie Anne Heuchel, veuve de Pierre Mertzdorff et belle-mère d’Eugénie.
  14. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril et mère de la première épouse de Charles.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Jeudi 28 avril 1864. Lettre d’Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff (en voyage de noces à Baden-Baden) à sa sœur Aglaé, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Jeudi_28_avril_1864&oldid=51497 (accédée le 21 novembre 2024).

D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.