Mercredi 3 et vendredi 5 mai 1871
Lettre d’Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Montmorency) à Marie Mertzdorff (Vieux-Thann)
Mercredi[1]
Ma chère petite Marie,
ta lettre était trop gentille et m'a fait trop de plaisir pour que je ne t'en remercie pas de suite. Il est 9h ½ j'ai encore un peu de temps avant la leçon de Jean[2] que je lui donne à 10h et je te le consacre.
J'ai trouvé ta bonne petite lettre hier en rentrant de Paris, j'étais partie de très bonne heure (7h) afin de bien voir M. Edward[3], bonne-maman[4], et de faire plusieurs commissions ; oncle Alphonse[5] en compagnie de Miss m'a reconduit au chemin de fer d'Enghien et est revenu le soir (5h 1/2) m'y rechercher ce qui est beaucoup trop aimable. Pour le récompenser je lui ai rapporté une bonne grande échelle double de 3 m. Il s'en sert déjà ce matin. Si tu savais comme il travaille bien avec bonne-maman[6] ; ils passent tous deux leurs journées à coller du papier dans la chambre que vous devez habiter à côté de bonne-maman ; et comme aujourd'hui cette pièce sera terminée, Oncle Alphonse commencera les peintures de la chambre de bonne-maman qui ira coucher ailleurs. Malgré tous ces beaux travaux la maison n'est pas belle je t'assure ; il y a des ouvriers partout et cependant les réparations se font bien lentement.
Le temps est superbe, les oiseaux chantent ce qui réjouissait beaucoup petit Jean ce matin de les entendre de son lit ; je crains qu'Emilie[7] ne trouve pas Jean aussi gentil qu'elle se le figure car il a quelquefois des caprices ce qui alors le fait aller en pénitence et vous répondre lorsque la sagesse est revenue : « Je veux être bon comme Emilie, je commence, je serai comme le jour en revenant de chez mes petites amies. »
Il n'aime pas beaucoup l'étude et ose même dire lorsqu'il fait une addition ou une soustraction que cela l'ennuie ; hier il a jeté sa tasse de chocolat toute entière sur la table ; souvent il se fait priver d'un plat parce qu'il mange trop lentement ; quelquefois il mange son goûter tout en jouant avec le chien ce qui est défendu mais il oublie facilement. Enfin l'autre jour il a attaché au cou de Miss une ficelle après laquelle était une casserole ce qui rendait la pauvre bête presque folle. La punition a été d'être privé de jouer le lendemain avec ce joujou vivant.
Tu vois que petit Jeannot n'est pas encore un modèle de sagesse mais il m'a dit qu'un garçon ne pouvait pas être sage comme une fille. Il a fallu que je lui lise 3 fois ta lettre et chaque fois qu'il entendait parler de son Emilie chérie sa figure s'épanouissait. « Elle est décidément trop gentille cette Emilie. »
Voici 10h il faut que je te quitte pour la leçon de Jean qui m'apporte 2 sales colimaçons qui crachent, à ce qu'il me dit, dans sa main.
Vendredi 5 Mai.
Je ne sais pourquoi, ma chérie, je n'ai pas terminé bien vite ce griffonnage ; je tiens cependant à te l'envoyer promptement. Je te dirai que je suis très occupée par la confection des rideaux de votre chambre qui je pense seront de votre goût. Je les ai achetés Mercredi et Alphonse tient à ce que nous les fassions vite pour en entreprendre d'autres après. Il faut bien aider un peu cette pauvre chère bonne-maman qui est si triste.
Adieu, bonnes petites chéries, je vous embrasse toutes deux comme je vous aime ainsi que votre chère maman[8].
tante amie
AME
Jean me charge de vous dire qu'il sera content de vous voir ; que Miss grogne toujours depuis hier parce qu'il l'a beaucoup taquinée et qu'il est allé la chercher pour la faire punir. (Mais ce n'était pas de la faute de Jean, car c'était une commission qu'il faisait). Il vous embrasse bien fort.
Notes
- ↑ Lettre écrite sur papier deuil.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Auguste Maxence Lemire, veuve du général Trézel, belle-mère d’Henri Milne-Edwards.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards, époux d’Aglaé.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Emilie Mertzdorff, petite sœur de Marie.
- ↑ Eugénie Desnoyers, épouse de Charles Mertzdorff.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mercredi 3 et vendredi 5 mai 1871. Lettre d’Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards (Montmorency) à Marie Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_3_et_vendredi_5_mai_1871&oldid=35162 (accédée le 21 décembre 2024).
D'autres formats de citation sont disponibles sur la page page dédiée.