Mercredi 14 mai 1879 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann), avec un ajout d'Aglaé Desnoyers-Milne-Edwards


original de la lettre 1879-05-14B pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-05-14B pages 2-3.jpg


Mon papa chéri,

Hier Marie[1] est venue te raconter les ennuis et les maux[2] ; aujourd’hui je viens te raconter les plaisirs, c’est plus agréable. Oncle[3] nous [a] annoncé un instant avant le dîner qu’il exécuterait la fameuse promesse déjà assez ancienne d’aller voir la Flûte enchantée[4]. Nous dînons vite, vite, nous prenons l’omnibus, mais ni oncle ni tante[5] n’étaient très certains de la situation de l’opéra comique, aussi l’avons-nous cherché fort longtemps après être descendus d’omnibus. Enfin nous l’avons trouvé, mais beaucoup de monde l’avait cherché moins longtemps que nous, et il ne restait plus une seule place pour les retardataires. Nous étions un peu déçus, mais ce bon oncle sait toujours bien arranger les choses, et il nous a tout de suite proposé d’aller voir les Fantoches rue du faubourg Poissonnière. Ce sont des espèces de poupées qui sont on ne peut plus remarquables et dont on entend beaucoup parler en ce moment, on dirait de vrais petits hommes ; elles font des mouvements très bien imités ; tous leurs membres sont admirablement articulés, leur bouche, leurs yeux, leurs mains remuent. On voit bien quelques fils mais on ne comprend pas ce qui peut les mettre en mouvement. Il y a eu une quantité de petites scènes jouées par ces fantoches ; celles qui étaient les plus remarquables étaient deux danseurs de cordes ; qui ils ont fait une quantité de pas, de sauts, de tours sur leur corde à croire vraiment qu’ils étaient vivants, ils mettaient leur balancier en équilibre sur leur tête et le rattrapaient chaque fois qu’il allait tomber. Il a eu aussi un squelette dont tous les membres s’en allaient, voltigeaient dans l’espace, puis revenaient prendre leur place instantanément ; c’est vraiment bien curieux, et je regrette que tu ne l’aies pas vu ; oncle était très content d’y être allé. Tu vois que nous avons passé une soirée bien agréable grâce à notre bon oncle qui nous gâte toujours.

Marie ne s’est pas ressentie du violent départ de sa dent, elle n’a même pas eu la joue enflée, ce que l’on craignait, malgré cela on doit aller Jeudi chez le dentiste[6] puisqu’il a demandé à la revoir, mais oncle et tante trouvent qu’elle va très bien et que sa gencive se guérit à merveille ; Marie est bien contente que ce soit fini et tante l’est encore plus qu’elle parce qu’elle se reprochait de ne pas lui avoir fait arracher cette malheureuse dent plus tôt. Marie dit qu’elle n’a pas souffert ; c’est vraiment merveilleux de pourvoir endormir comme cela la partie locale en conservant toutes ses facultés. Je pense que tu es au moins aussi satisfait qu’elle que ce mauvais petit habitant ait quitté sa mâchoire et qu’il soit parti d’une manière si polie.

Nous allons enfin bientôt te revoir, mon petit papa, il y a si longtemps que tu es parti, c’était le 8 Avril, et nous voilà déjà le 14 Mai. Quel jour penses-tu venir ?
Nous nous dépêchons de faire faire nos robes mais tu nous trouveras prêtes dès que tu le voudras car les voilà presque finies.

Je t’embrasse de tout mon cœur et je te dis à bientôt.
Emilie

Surtout, mon cher Charles, ne vous tourmentez pas pour la bouche de Marie, tout y est en bon ordre, elle ne souffre pas du tout et la place où était la dent a très bonne tournure. Nous vous espérons prochainement et je prépare tout pour que vous puissiez emmener un peu vos chères filles. Comptez toujours sur notre tendre amitié et notre profond dévouement.
AME


Notes

  1. Marie Mertzdorff, sœur d’Emilie.
  2. Voir la lettre du 13 mai.
  3. Alphonse Milne-Edwards.
  4. La Flûte enchantée, opéra de Mozart (1791). Voir la lettre du 23 avril.
  5. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Simon Goldenstein.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 14 mai 1879 (B). Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann), avec un ajout d'Aglaé Desnoyers-Milne-Edwards », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_14_mai_1879_(B)&oldid=41143 (accédée le 15 novembre 2024).

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