Mercredi 10 mars 1875 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1875-03-10A pages 1-4.jpg original de la lettre 1875-03-10A pages 2-3.jpg


Mercredi 10 Mars 1875.

Mon petit père chéri,

Je reçois à l’instant ta bonne lettre et je ne puis résister au désir de quitter ma chronologie et ma géographie (que je sais au fond) pour venir te dire un petit bonjour et t’embrasser comme je t’aime. Il est 9h ¼ et cependant nous avons déjà fait bien des choses d’abord nous nous sommes levées à 6h puis à 6h ½ nous avons quitté la maison après avoir déjeuné pour aller à St Paul entendre un sermon qu’on nous avait dit très bien et qui l’était en effet ; ce n’a pas été bien long au bout d’une heure messe et sermon étaient achevés et nous étions à travailler à 8h ½. Il fait un temps splendide le ciel est d’un bleu ravissant, le soleil brille de tout son éclat, les bourgeons poussent avec une rapidité incroyable et les petits oiseaux commencent à chanter nous voilà tout à fait au printemps c’est bien agréable.

Je n’ai pas grand-chose à te dire mon bon petit père et bien qu’habitant la capitale où il semblerait que l’on doit savoir beaucoup de choses je ne sais absolument rien du tout ; la nouvelle la plus importante du jour c’est que c’est aujourd’hui Mercredi et par conséquent jour du cours[1] ; on repasse donc ce matin ses leçons avec ardeur : Mais je crois vraiment que je sais assez bien les noms des comtés d’Angleterre et les rois de chronologie pour m’en distraire un peu. C’est que je tiens à les savoir parfaitement, les prix approchent et pauvre moi est enfoncée ! C’est cette coquine de Marthe Tourasse qui est à notre tête ; j’espère bien du moins prendre ma revanche aux prix de la fin de l’année. Malheureusement toutes celles qui n’auront pas le prix et même celle qui l’aura en formeront le même projet et il se pourrait bien encore qu’elles me mettent de côté.

Hier nous n’avons rien fait d’extraordinaire et avons comme récréation passé 2h chez tante Louise[2] avec Jeanne Brongniart où nous avons fait une partie acharnée. Lundi Émilie[3] et tante[4] ont été seules chez le dentiste[5] et au mariage de Mlle Delacre[6] moi j’avais trop à travailler et je me suis bornée à aller passer une heure avec Marthe[7] malheureusement elle n’était pas là quand je suis arrivée et j’ai dû passer une demi-heure seule dans le jardin.

Oncle[8] a un jeune homme qui lui a été fourni par ton M. Luthringer[9] seulement il n’a que 15 ans et ne sait pas un mot d’allemand oncle ne le prend donc qu’à l’essai car il promet d’apprendre l’allemand mais il s’agira de voir comment il tient cette promesse.

Lundi soir tante a été à une petite soirée chez Mme Becquerel[10]. Cette pauvre tantine est en ce moment-ci à sa douche qu’elle reprend pour la première fois cela n’avait pas l’air de l’amuser du tout.

Nous allons peut-être pour les vacances de Pâques rapprendre avec Hortense et Jeanne Duval une petite pièce pour comme nous l’avons fait à Port[11] nous ne savons pas encore positivement quoi car c’est difficile à trouver.

Il me semble que les jeunes Alsaciens se donnent joliment de fêtes ; dans toutes tes lettres tu parles de bals et de soirées soit à Mulhouse soit dans la vallée[12].

Sait-on décidément qui va remplacer monsieur le curé[13] ? c’est bien ennuyeux qu’il nous quitte, les gens de Thann sont-ils au moins contents ?

Adieu mon bon mon mignon petit père je t’embrasse de toutes mes forces et je te charge de mille baisers pour bon-papa et bonne-maman[14]. Je te demande encore bien pardon pour le long intervalle de nos lettres ce qui je l’espère bien n’arrivera plus.

Ta fille qui t’aime de tout son cœur

 Marie Eugénie Anna
Mertzdorff


Notes

  1. Le cours des dames Charrier-Boblet.
  2. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  3. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  4. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  5. E. Pillette, dentiste.
  6. Marie Delacre a épousé Jules Offroy.
  7. Marthe Pavet de Courteille.
  8. Alphonse Milne-Edwards.
  9. Hypothèse : André Luthringer, maréchal-ferrant à Vieux-Thann.
  10. Probablement Aurélie Quénard (1829-1890), épouse du physicien Edmond Becquerel (1820-1891).
  11. Port-en-Bessin (aux vacances d’été).
  12. La vallée de Thann.
  13. François Xavier Hun, ancien curé de Vieux-Thann, vient de partir à Thann.
  14. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mercredi 10 mars 1875 (A). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mercredi_10_mars_1875_(A)&oldid=60756 (accédée le 28 mars 2024).

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