Mardi 7 novembre 1882

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Paris 7 Novembre 82.

Mon cher Papa,

Quelle joie j’ai eue hier lorsqu’Émilie[1] m’a apporté hier ta longue et bonne lettre ! Tu es vraiment trop gentil de nous avoir écrit ainsi, si tu savais le plaisir que cela nous a fait ! Nous pensons si souvent à toi ! Merci de tous les détails que tu nous donnes, comme cela nous te suivons bien et nous constatons avec grande satisfaction que tu continues à être dans la bonne voie. Que je voudrais donc au lieu de prendre la plume pouvoir causer ce temps-là avec toi ! J’aime tant nos petites conversations en tête à tête où nous abordons tant de sujets différents ainsi je compte bien m’en donner quand je t’aurai à moi. Par écrit on ne peut parler de même et je me trouve toujours réduite à te faire simplement un récit de l’emploi de mon temps ce qui ne doit guère avoir d’intérêt pour toi, mon pauvre Papa ; de plus je sais qu’Émilie t’écrit souvent et nous devons arriver à te dire toujours les mêmes choses. Enfin, quoiqu’il en soit, et si monotones que soient nos lettres, elles iront toujours te dire que nous pensons beaucoup à toi, que nous t’aimons beaucoup, c’est le fond et le principal le reste est l’accessoire. Pour commencer donc mon journal, je te dirai que nous avons eu hier le déjeuner de jeunesse que je t’annonçais : Mathilde, Paule et Louis Arnould ; auxquels tante, oncle[2] et Émilie avaient bien voulu se joindre ; Jean[3] était venu aussi. Émilie va te dire que cela a été très gentil, nous étions tous bien contents de nous revoir ; après le déjeuner nous avons goûté solennellement le bon vin de Moscatel qu’oncle nous a rapporté et qu’il avait amené en venant chez nous. Il est délicieux et je me réjouis de t’en faire boire aussi. Nous sommes restés longtemps réunis, Mme Dumas[4] est venue puis la jeune dame Pierre Arnould[5] que je désirais connaître depuis son mariage et qui m’a paru charmante. Tout cela a fait que je ne suis sortie que tard pour aller voir ma petite Jeanne[6] au Luxembourg et ma belle-sœur[7] chez elle. Tu crois peut-être que c’est tout et que je vais terminer en te disant qu’après le dîner nous nous sommes couchés : mais point ; Marcel[8] en rentrant m’a parlé d’une petite pièce « Tête de Linotte »[9] qu’on jouait au Vaudeville[10] et dont on venait de lui faire l’éloge à la Cour ; je n’étais pas fatiguée, c’était fort tentant ; si tentant que nous n’avons pas résisté et que nous sommes partis tous les deux enchantés de notre petite expédition aussitôt que Nounou[11] a eu fini de dîner. Nous avons passé une soirée très amusante et très gaie, je suis sûre que par moments tu aurais bien ri aussi. Le personnage principal[12] était admirablement bien joué, enfin nous sommes rentrés tous contents.

Aujourd’hui il pleut, je crois que je n’irai pas bien loin. Nous dînons ce soir au Jardin. Jeanne va bien, mais n’est pas encore débarrassée de son indisposition de sorte qu’elle a peu d’appétit et la figure assez tirée. Sa gaieté n’en souffre pas.

Adieu mon cher petit Papa, je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime.

ta vieille

Marie  


Notes

  1. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  2. Aglaé Desnoyers et son époux Alphonse Milne-Edwards.
  3. Jean Dumas.
  4. Cécile Milne-Edwards, épouse d'Ernest Charles Jean Baptiste Dumas ou bien sa belle-mère Hermine Brongniart, épouse de Jean Baptiste Dumas?
  5. Alice Forest, jeune épouse de Pierre Arnould.
  6. Jeanne de Fréville, sa fille.
  7. Louise de Fréville, épouse de Roger Charles Maurice Barbier de la Serre.
  8. Marcel de Fréville.
  9. Tête de Linotte, comédie en 3 actes de Théodore Barrière (1823-1877)  et Edmond Gondinet (1829-1888).
  10. Le théâtre du Vaudeville sur le boulevard des Capucines.
  11. Nounou probablement prénommée Marie.
  12. Rôle tenu par Léontine Caron.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Mardi 7 novembre 1882. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_7_novembre_1882&oldid=41035 (accédée le 23 avril 2024).

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