Mardi 6 avril 1888
Lettre d'Alphonse Milne-Edwards (Launay, près de Nogent-le-Rotrou) à sa nièce Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Cannes)
6 Avril 1888.[1]
Chère fille, ta lettre a été ce matin la bienvenue et le contraste entre le beau soleil, l’air tiède et les roses de Cannes et le ciel nuageux, la glace, la bise et les bourgeons transis de Launay était frappant. Ici nous grelottons, le vent souffle du nord, le thermomètre s’oublie à 4 ou 5 degrés de froid pendant la nuit et le vent nous perce. Aussi Jean[2] après avoir été presque remis est-il encore à la chambre et forcé de soigner de nouveau sa gorge, mais ici, le mal est local et il n’a pas de fièvre ; si l’air était calme je le laisserais se promener mais j’ai peur de l’aigreur du Borée qui souffle. Quand donc sortirons-nous de l’hiver ! Notre séjour ici n’est cependant pas inutile car il faut éperonner les entrepreneurs, ouvriers, etc. qui s’endorment et finiraient par oublier qu’ils ont quelque chose à faire dans la maison. En réalité rien n’est commencé et je suis fort inquiet des lenteurs contre lesquelles je me débats.
Je désire cependant beaucoup que le gros œuvre soit terminé cet été et j’ai peur que les bons Nogentais ne me laissent maison découverte, plafonds effondrés, sachant que je ne puis me passer d’eux et qu’ils ont là du travail sur la planche. Je les tarabuste de mon mieux et, s’il le faut, j’irai une fois par semaine les relancer car c’est déjà long que de ne pouvoir profiter de Launay toute cette saison. Pauvre Launay tu ne saurais croire tout ce que j’y trouve de souvenirs parfois bien amers, parfois aussi bien doux. Bien amers quand je pense à ce que j’ai perdu[3] ; bien doux quand je me souviens du bonheur si complet dont j’y ai joui. Tout m’y parle de ta chère tante, nous y étions si complètement l’un à l’autre ; et nous y avions fait tant de projets d’avenir. Tout ce qu’elle avait rêvé d’y faire je tiens à l’exécuter, c’est pour moi un plaisir de penser qu’elle approuverait ce que je viens de décider et je ne cherche pas à oublier mais au contraire à peupler le vide par les souvenirs de sa bonté si parfaite, de son cœur si chaud, de son intelligence si prompte et si bienveillante. Mes regrets tu les comprends, tu les partages, aussi je ne crains pas de t’en parler.
Merci chère fille d’avoir pensé que les ermites de Launay[4] sauraient apprécier le talent de Nègre[5].
Tu voudras bien embrasser les enfants[6] en leur disant que c’est de la part d’oncle. Amitiés à Marcel[7]. Mille tendresses.
AME
Voudrais-tu dire à ton mari que je viens de recevoir une lettre de M. Grandidier[8] m’avertissant que M. le Président Roy[9] avait déjà été présenté à la Société de géographie et qu’en conséquence notre parrainage était inutile.
Notes
- ↑ Lettre sur papier deuil.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Allusion au décès en 1887 de l'épouse d'Alphonse Milne-Edwards (Aglaé Desnoyers, « ta chère tante »).
- ↑ Alphonse Milne-Edwards, Jean Dumas et son épouse Marthe Pavet de Courteille.
- ↑ Hypothèse : Charles Nègre (1820-1880), artiste peintre et photographe (en particulier de la Côte d'Azur).
- ↑ Jeanne, Robert, Charles et Marie Thérèse de Fréville.
- ↑ Marcel de Fréville.
- ↑ Alfred Grandidier.
- ↑ Probablement Gustave Emmanuel Roy, président de la Chambre de commerce de Paris.
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Mardi 6 avril 1888. Lettre d'Alphonse Milne-Edwards (Launay, près de Nogent-le-Rotrou) à sa nièce Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Cannes) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_6_avril_1888&oldid=51853 (accédée le 21 décembre 2024).
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