Mardi 31 octobre 1916

De Une correspondance familiale


Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


original de la lettre 1916-10-31 pages 1-4.jpg ooriginal de la lettre 1916-10-31 pages 2-3.jpg


31 Octobre[1]

Qu’il est donc bon ce Caplain ! je ne puis te dire, mon petit, combien je suis touchée de ce qu’il vient encore de faire pour toi et combien je comprends le bonheur que tu as eu à passer ce bonnes heures dans l’intimité d’un si excellent ami. On n’en trouve pas beaucoup comme celui-là !

Je te remercie de ce que tu nous dis de Michel[2], cela nous tranquillise, mais nous serons heureux d’avoir une nouvelle lettre de lui et aussi de Pierre[3]. On a beau se raisonner, on sent à chaque instant l’angoisse vous serrer le cœur !

N’hésite pas à demander ta permission pour le Pas de Calais. Nous irons, je pense vers le 12 ou 15 et sans porter préjudice à ton séjour à Paris, tu pourras faire une fugue à Brunehautpré. Pourtant les voyages sont peu attrayants sur le réseau du Nord ! Croirais-tu que ton papa[4] a dû attendre 6 heures Dimanche soir dans la gare d’Étaples qu’un train voulût bien passer pour l’emmener à Boulogne où il est arrivé à 6h du matin ! Il a vu Lucie[5] un instant et a repris le train de 2 h ½ aux Tintelleries[6] pour arriver à Paris à 2 h !... Il était chez nous à 3 h du matin !... Ces 2 nuits si pénibles passées en voyage ne paraissent cependant pas l’avoir fatigué et il est arrivé à accumuler un tas de choses dans sa journée ! Il est plus jeune que nous tous !

L’enterrement[7] a eu lieu ce matin à 10h. Tout s’est passé très vite. Notre-Dame-des-Champs et le cimetière Montparnasse où les de Place lui ont donné l’hospitalité dans leur caveau à la pauvre tante étant très voisins. Ton papa a donc pu, étant rentré déjeuner à midi, aller encore à la fin de l’enterrement d’un camarade.

Te conterai-je que ton pauvre père a mille ennuis avec ses prisonniers[8] ? Les voisins de Saint-Josse et Tortefontaine qui devaient les prendre avec lui trouvent que cela revient trop cher (4F 50 par jour) et se désistent !... L’officier qui devait venir Dimanche reconnaître les locaux de cantonnement n’est pas venu ! ou bien te conterai-je un incident du voyage qui s’est terminé en drame ? ton papa s’est laissé entortiller par Octavie[9] pour la débarrasser de 2 poulets qu’il a emportés vivants dans un sac et qui ont partagé avec lui la longue attente dans la gare d’Étaples donnant souvent de bruyants signes de vie ou d’impatience. Arrivé à Boulogne dans un petit hôtel près des Tintelleries, il a prié l’hôtesse de mettre fin à la vie des pauvres bestioles, mais l’hôtesse ayant déclaré n’avoir jamais fait pareille besogne, ton papa s’est fait donner des ciseaux et couic !... il a emporté un [coq] tout chaud encore à Wimereux et l’autre ici. Les pontonniers anglais, hélas ! ont quitté Dommartin et sont remplacés par… des Hindous ! de vrais sauvages. Ce qu’ils me dégoûtent ces Hindous depuis que je les ai vus dans les rues de Montreuil se moucher dans leurs doigts et les passer dans leur turban pour les essuyer !

Quelle population panachée nous allons avoir à Tortefontaine ! ton père a été dîner Dimanche à Bamières. Rien de bien nouveau. Cécile[10] et Marguerite[11] sont à Hallines[12] où cette dernière aura son bébé dans quelques semaines.

Je t’embrasse bien affectueusement, cher enfant.

Emy


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Michel Froissart, frère de Louis.
  3. Pierre Froissart, frère de Louis.
  4. Damas Froissart.
  5. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote, à Wimereux.
  6. Tintelleries : la gare de Boulogne-sur-Mer.
  7. L’enterrement de Marie Stackler, veuve de Léon Duméril.
  8. Voir la lettre du 28 octobre.
  9. Octavie Bernard, épouse de Paul Malvache.
  10. Cécile Dambricourt, épouse de Maximilien Froissart.
  11. Marguerite Dambricourt, sœur de Cécile, épouse de Jean Froissart, bientôt mère de Étienne Géry Gabriel Froissart.
  12. Hallines, arrondissement de Saint-Omer (Pas-de-Calais).

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 31 octobre 1916. Lettre d’Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_31_octobre_1916&oldid=55200 (accédée le 18 décembre 2024).

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