Mardi 31 octobre 1882
Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 31 Octobre 1882.
Mon Père chéri, nous voilà donc loin de toi, j’ai peine à m’habituer à l’idée que je ne vais pas te voir dans un instant ; c’était si bon d’être sous le même toit, de vivre tout à fait ensemble ; ma seule consolation est de penser que je t’ai laissé bien et que j’ai emporté la promesse de te voir arriver ici dans quelque temps ; tu ne saurais croire combien cela me remplit de joie, de t’avoir à moi et chez moi[1] ; tu verras comme tu seras bien soigné ! Je n’ai pu m’empêcher d’aller déjà faire une visite à ta chambre, il me semblait déjà t’y voir installé. Je ne te parle pas de suite de notre voyage car la dépêche que Marcel[2] vient de porter vous aura appris quand vous recevrez cette lettre que tout s’était passé admirablement. Je crois n’avoir jamais aussi bien dormi en chemin de fer ; sans Jeanne[3], qui a crié à plusieurs reprises en appelant son lolo d’une voix désespérée (et le lolo n’a pas été donné) je n’aurais pas été réveillée je crois ; je n’ai pas entendu appeler une seule station ! aussi ce matin je vais à merveille, je n’éprouve pas la plus petite fatigue moins même qu’en arrivant à Vieux-Thann. Notre train de Thann avait du retard de sorte que nous avons peu séjourné dans la gare de Mulhouse ; il y avait énormément de monde pour les 3èmes ; à Petit-Croix nous avons pu prendre une soupe et un commencement de bifteck, nous avons terminé notre repas en remontant en wagon grâce aux bonnes provisions de Vieux-Thann, je t’assure que Jeanne a fait honneur au veau, elle aurait tout mangé si on l’avait laissée. Il n’y avait presque personne dans notre train aussi avons-nous eu bien vite nos bagages ; la douane ne nous a causé aucun ennui, l’inspection des échantillons leur a suffi, nous n’avons rien eu à payer et on ne nous a fait ouvrir ni le ballot ni la caisse clouée. Nous sommes arrivés chez, nous à 6 heures, Louis et Maria[4] nous attendaient et notre petite maison avait pris pour nous recevoir son air le plus gentil et le mieux rangé aussi est-ce avec joie que nous en avons repris possession. Il est 10h1/2, toutes les caisses sont défaites et le contenu à peu près rangé ; nous avons eu une délicieuse surprise en ouvrant le ballot de fleurs (lequel soit dit en passant, était merveilleusement bien emballé, ce serait à en faire compliment au jardinier, nous ne l’avons vraiment pas assez rétribué) tu ne saurais croire, mon petit Papa combien toutes ces petites Vieux-thannoises qui avaient presque l’air insignifiant au milieu de leurs compagnes, s’étalent avec complaisance et sont belles ici, nous ne cessons de les admirer ; seulement nos yeux de maîtres de maison nous avaient trompés et avaient vu notre modeste petite cage d’escalier beaucoup trop monumentale ; ces 2 grands dracénas ont ri quand ils ont vu le petit coin qu’on leur destinait ; aussi les avons-nous bien vite rassurés ; ils sont trop jolis pour être laissés dans l’antichambre, leur place les jours de cérémonie sera dans le salon où ils ferons supérieurement bien ; le reste du temps ils nous réjouiront dans la salle à manger.
Marcel est parti de suite acheter des pots qui arrivent ; Louis va planter tout cela après le déjeuner. Tu ne saurais croire combien ces plantes nous font de plaisir ; je les aime 10 fois plus que si elles venaient du Marché. Mais je me laisse trop aller à bavarder, j’oublie que je ne suis pas habillée et que nous devons aller aussitôt après le déjeuner à l’enterrement du 2e fils de M. Hamel[5], un jeune homme de 25 ans ! Nous ne savons de quoi il a été enlevé ; il habitait la campagne d’où on le ramène. Ce doit être un grand chagrin pour sa famille ; cependant je crois qu’il n’avait pas la valeur intellectuelle de son frère Paul[6]. Nous n’avons naturellement vu personne encore. Adieu mon Papa chéri, aimé, aimé beaucoup, je t’embrasse du fond de mon cœur, et je pense sans cesse à toi.
J’envoie à oncle et tante[7] de bons baisers bien tendres ainsi qu’à ma petite Founi[8]. Jeanne est bien sage ce matin ; la pauvre chérie hier soir regardait souvent par la portière en appelant papa ; elle croyait qu’elle allait te revoir.
Notes
Notice bibliographique
D’après l’original.
Pour citer cette page
« Mardi 31 octobre 1882. Lettre de Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_31_octobre_1882&oldid=60547 (accédée le 15 novembre 2024).
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