Mardi 29 août 1916

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne)


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Le 29/8 16[1]

Mon cher Louis,

Enfin voici un beau résultat de tes efforts auprès de [tes amis] les Roumains ! Ils nous ont fait attendre un peu, ils ont un peu trop alimenté les boches, mais ils marchent ! et, s’il faut en croire les journaux, livrent passage (à travers leur Dobroudja[2]) aux armées Russes qui vont obliger les Bulgares à être moins mordants à l’Est de Salonique. Merci à tes Roumains et fais-leur tous mes compliments, si tu leur écris.

Je suis arrivé ici très inopinément Jeudi, appelé par une dépêche m’annonçant l’arrivée de Pierre[3] (pour une courte permission qui a pris fin Dimanche à midi).

Alors, en vertu de la loi de l’Inertie de la matière, je suis toujours ici, bien que j’aurais à faire dans le Pas-de-Calais soit à Dommartin pour empêcher une récolte de germer, soit à Wimereux pour tromper un peu la solitude de Lucie[4], qui passe par une crise de grande fatigue, (réaction de ses émotions peut-être[5] ?). La même loi de l’Inertie retient à Écuelles les C.D.[6] que j’avais, de Brunehautpré, invités à venir me tenir compagnie.

Ils n’ont pas marché ! J’ai insisté auprès de Guy[7] ici aujourd’hui, pour les avoir quelques semaines en septembre.

Hélas ! la même loi de l’Inertie retient (avec la complicité de ta mère[8]) Elise[9] à Saint Cloud. Combien elle serait mieux à Brunehautpré ayant une garde ici maintenant à laquelle une sœur doit succéder. Mais on avait trimballé à Saint Cloud un certain nombre de bibelots de circonstance : tout cela, en 6 ou 7 [ ], eût été à Brunehautpré. Ma motion a été trouvée subversive (note que je la subordonnais à l’avis des médecins, qu’on n’a pas consultés).

Est-ce que ton frère Pierre n’est pas la preuve qu’un enfant viable peut naître à Brunehautpré hors la présence de son père !

Jacques[10] est à Amiens élève officier (convoi automobile [Son] TM[11] 628, par BCM Paris. Son adresse civile est 212 rue des Corroyers Amiens.

Henri[12] est dans un village voisin d’Amiens toujours 191 TM par BCM Paris, adresse civile [Mme Thamine] 56 rue Dargent Amiens où il vient.

Pierre[13] comptait, de Beauvais, gagner le front aujourd’hui 29/8

EM 1er groupe (105 4) 121 [A4] S.P.[14] 89

Bien qu’il soit en possession de matériel de 95 ce qui ne le ravit pas du tout et je le comprends.

De Michel[15], rien de bien nouveau : il fait connaissance avec les pannes de moissonneuses lieuses, confiées à des gens inexpérimentés et met ses [  ] en chaînes couvertes dont il m’a demandé le modèle

Suite

Hélas ! ce que j’ai vu à Dommartin, de chaîne confectionnée, avant mon départ, avait le tort d’être des chaînes non couvertes ! Vu le manque de personnel, on a voulu faire cette mauvaise économie de temps. Je ne me console pas, d’autant plus que l’arrivée de 4 soldats nous mettait relativement à l’abri à Dommartin, même en ton absence. C’est une mauvaise simplification qui risque de nous coûter cher, avec ces pluies persistantes !

Ta mère couche tous les soirs à Saint Cloud mais j’y ai dîné 3 fois avec Pierre. J’y dînerais probablement demain.

Je dois assister ici demain au mariage de Madeleine du Roure[16] avec un homme de lettre et propriétaire à Angers (connu pour le cheval).

Une des raisons qui aide la loi de l’Inertie à me retenir ici, c’est qu’on avait l’air de croire chez le sénateur Milliès-Lacroix[17] qu’il passerait ici ces jours-ci : J’aurais appris volontiers de sa bouche ce qu’il [rumine] à la suite de l’enquête dont il paraît avoir été chargé. Le pauvre homme, que peut-il avoir vu à Lyon qui soit susceptible de lui inspirer une solution susceptible de convenir au Ministre de la Justice[18] et à son extraordinaire procureur[19] dont on veut affirmer l’accord dans le n° du 17 août du « Matin » que je t’ai envoyé hier, au risque de te troubler dans tes travaux du peloton n° 2.

Ce que « le matin » ne te dit pas, c’est que, en ne laissant pas mettre la main par le haut [commerce] sur les 700 000 qui représentent la plus value de 40%, j’ai fait un grand tort à notre affaire ! à laquelle il ne peut venir quelque chose de bon et profitable que par ta tante[20] et Guy de Place.

On croit dans ce monde (apparemment) beaucoup plus à la « réparation intégrale » (que le gouvernement n’a pas hâte de nous donner) qu’au recouvrement de créances garanties par des pièces appartenant à nos clients. Que ce soit plus simple de recevoir du Gouvernement Français le [ ] çà n’est pas douteux ! mais quels assignats ne recevra-t-on pas au lieu d’un [  ] ! La tante Marie Léon[21] s’excite tellement au contact de l’autre tante que sa santé (bien bien compromise) va peut-être en souffrir encore ! Elle n’hésiterait pas à revenir à Paris si son Docteur d’ici n’était pas en vacances !

Ta tante Marie ne met pas en doute qu’une issue fatale soit à craindre dans un délai qui peut être court : la malade n’est guère résignée à ce malheureux sort, paraît-il !

Il se confirme que nous sommes de la classe à notre âge ! ma sciatique voyage. J’ai des rhumatismes dans les épaules et dans les coudes [ ] et ma hanche [   ].

Je suis passé aujourd’hui chez ton agent de change qui m’a indiqué le Bureau du Ministère des finances où j’ai chance de retrouver ton acte de notoriété pour pouvoir faire mentionner sur ton titre 5% que tu n’es plus sous la tutelle paternelle !

Vu à Bamières [Jeudi] Marguerite Lefebvre[22] de Gapennes[23] et ses 2 fils qui sont venus y déjeuner. Alexandre Froissart devait y être, mais sa santé (bien compromise, dit sa fille) l’en a empêché !

Pierre n’est pas [ ] pour [  ] à l’examen d’aspirant : le nombre de recrus qui manquent de l’aptitude au commandement que donne seule la pratique en est grand, dit-il : tu vaudras plus en suivant la filière !

Encore faut-il que tu aies le temps de te faire officier avant que la guerre (appelée à marcher à pas de géants avec les Roumain) soit terminée ! Mes ambitions pour toi, risquent-elles de ne pas se réaliser pour ce motif ?

Henri a retrouvé à Amiens le général Plantey qui a été surpris de le retrouver sous-officier et qui a, aussi, de l’ambition pour lui.

Mille amitiés et Bonne Santé en attendant Bonne chance

D. Froissart

Nous sommes heureux que tu aies pu t’offrir une excursion à Bordeaux. C’est du 58e [ ] à Bordeaux, qu’est arrivé, il y a un mois au 22e à Versailles, le fils du député Vandame[24] recalé à [la mairie] en mars : il va passer l’examen [ ] d’aspirant en bonne condition, [ ] colonel (Il [  ] à St-Cloud).


Notes

  1. Lettre avec tampon : Commandant Froissart. 29, Rue de Sèvres, Paris.
  2. La Dabroudja est objet d’annexions successives par la Bulgarie et la Roumanie. Conquise par la Roumanie en 1913, la région est reconquise par la Bulgarie, alliée à l’Allemagne, le 28 août 1916 : après quelques succès en Transylvanie, les forces roumaines, alors qu’était retardée l’offensive prévue de l’Armée de Salonique, sont écrasées par les armées allemande et austro-hongroise placées sous le commandement des généraux Falkenhayn et Mackensen.
  3. Pierre Froissart, frère de Louis.
  4. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
  5. Sa fille Suzanne, 7 ans, est récemment décédée.
  6. Les Colmet Daâge.
  7. Guy Colmet Daâge.
  8. Emilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.
  9. Elise Vandame, épouse de Jacques Froissart, près d’accoucher.
  10. Jacques Froissart, frère de Louis.
  11. TM : transport de matériel.
  12. Henri Degroote.
  13. Pierre Froissart, frère de Louis.
  14. S.P. : secteur postal.
  15. Michel Froissart, frère de Louis.
  16. Madeleine Du Roure épouse Maurice Perrin.
  17. Raphaël Milliès-Lacroix.
  18. René Viviani, Ministre de la Justice.
  19. Procureur général à Lyon : probablement William (Guillaume) Loubat.
  20. Marie Mertzdorff, veuve de Marcel de Fréville.
  21. Marie Stackler veuve de Léon Duméril.
  22. Marguerite Froissart, veuve de Gaston Lefebvre, fille d’Alexandre Froissart et mère de Louis et Jacques Lefebvre.
  23. Gapennes, village de la Somme à une cinquantaine de kilomètres d'Amiens.
  24. En dépit des difficultés de lecture, les mots « député Vandame » peuvent être déchiffrés : il s’agirait alors de Georges Vandame.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 29 août 1916. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (Camp de La Braconne) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_29_ao%C3%BBt_1916&oldid=55186 (accédée le 22 décembre 2024).

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