Mardi 27 juin 1876 (B)
Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris le 27 Juin 1876.
Mon Père chéri,
J’espère que la lettre de tante[1] d’hier ne t’a pas tourmenté je t’assure qu’il n’y avait pas de quoi car c’est à peine si je tousse aujourd’hui et hier depuis midi cela ne m’est arrivé qu’une fois. Et toi comment vas-tu mon bon petit papa ? Si je dois croire mon baromètre tu serais un peu fatigué car voilà longtemps que tu ne nous as écrit espérons qu’il me trompe et qu’une bonne lettre demain matin va venir me le prouver.
Je vois que tante t’écris aussi et j’ai bien peur, mon pauvre père, que tu n’aies deux éditions des mêmes nouvelles car depuis hier il ne s’est pas passé de bien grands événements. Tante me dit que je peux te parler de Krab[2] et de Jean[3], qu’est-ce qu’elle se réserve donc car dans toute mon imagination je n’avais trouvé à te parler que de ces deux personnages ? mais c’est une recherche bien indiscrète et puisque elle me laisse ces sujets je vais te dire ce que j’en sais.
Commençons par Krab car c’est à la fois le plus triste et le plus intéressant et il vaut mieux te dire d’abord la chose triste. Figure-toi qu’hier soir nous étions tous ici (je mangeais mon dîner pour entrer dans plus de détails car M. Edwards[4] avait préféré que je ne descendisse pas) et oncle[5] se met à parler de ménagerie[6] devant Krab voilà le petit qui entre dans une telle joie, il saute, il court partout, si bien que son bon maître, qui d’abord n’avait pas l’intention de sortir, l’emmène pour lui faire plaisir mais peu après oncle entre dans le petit salon où nous étions et dit d’un air tout triste : Ce pauvre Krab qui était parti si content vient de se casser la patte en passant sautant par-dessus un grillage. Juge du chagrin, heureusement que ce n’est pas la patte mais seulement un doigt qu’il s’est cassé et oncle pense que cela se remettra bien. En attendant le pauvre infortuné marche sur trois pattes d’un air fort piteux.
Parlons maintenant de Krab n°2 autrement dit Jean Dumas. De celui-là je n’ai pas grand’chose à t’apprendre, on a reçu de bonnes nouvelles ce matin et il est complètement remis de l’indisposition qui avait effrayé un instant sa mère[7].
Emilie[8] se dépêche car c’est aujourd’hui Mardi et demain le dernier cours ; Jeudi sera la distribution des prix puis elle sera en vacances ce dont je t’assure elle se réjouit bien.
Je n’ai rien fait ce matin si ce n’est que j’ai pris ma leçon de piano[9] et je me suis amusée à relire tous mes vieux journaux de voyages. Emilie s’en est mêlée et nous n’avons pas cessé de rire. Dans notre voyage en Suisse de 1868 les seules observations que je faisais sur Zurich étaient : 1° qu’Emilie avait eu mal au cœur et était restée dans notre chambre qui était au 3e étage ; 2° que le lac était assez joli ; 3° que je remarquais que dans cette ville tous les chiens étaient muselés.
J’oubliais de te parler de notre réunion de Dimanche chez Mlle Poggi, elle s’est très bien passée et Emilie et moi avons joué très convenablement.
Je vais prendre ma leçon de Mlle Bosvy[10] pour laquelle du reste je n’ai rien fait qu’une dictée heureusement qu’elle est bonne et indulgente ; puis nous aurons Mme Pereira-Lima[11].
Adieu, mon Père chéri mignon que j’aime je voudrais pouvoir t’embrasser mais puisque je ne puis le faire je charge ce papier de te porter 100000000000000 baisers autrement dit un nombre incommensurable, si j’avais pu j’aurais mis plus de zéros.
Ta fille qui t’aime beaucoup et qui ne veut plus tousser pour te faire plaisir
Marie
Notes
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Krab, le chien d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Jean Dumas.
- ↑ Henri Milne-Edwards.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ La ménagerie du Jardin des plantes, où habitent les Milne-Edwards.
- ↑ Cécile Milne-Edwards, épouse de Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
- ↑ Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
- ↑ Leçon de piano avec MllePoggi.
- ↑ Marguerite Geneviève Bosvy, professeur d’arithmétique et de français.
- ↑ Mme Lima, professeur d’allemand.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 27 juin 1876 (B). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_27_juin_1876_(B)&oldid=40917 (accédée le 15 novembre 2024).
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