Mardi 23 et mercredi 24 août 1870
Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)
Paris 23 Août 70
Mardi soir
Mon cher Charles,
Ce soir nous avons tous l'esprit tout remonté. Ce n'est pas qu'on ait appris quelque éclatante victoire mais il souffle un air de confiance dans notre armée qui a fait du bien à tous et a redonné nerf et courage. Bazaine occuperait une position importante du côté de Mézières, le camp de Châlons <serait> entièrement abandonné par nos soldats qui auraient tout détruit avant de le quitter. Stratégie Bazaine.
Ce soir Julien[1] est venu à l'heure du dîner nous surprendre, il est toujours bien reçu, il va dormir ici jusqu'à demain matin 4 h pour être à l'appel de 6 h. Le cher garçon va toujours bien, cette nuit couché sur un peu de paille, la pluie sur la tête et aux pieds sous la tente, ne lui fait pas mal à la gorge, ça étonne.
Tout notre petit monde va bien sauf le rhume d’Émilie[2] mais qui ne m'empêchera pas demain matin de l'emmener chez le dentiste[3] et vers 3 h nous avons le projet d'aller toutes au camp de St Maur.
Bonsoir Chéri, je dors, tu peux en juger. Un gros bec
Mercredi midi.
On va bien ici. Je rentre avec mes deux bonnes filles[4] de chez le dentiste, nous avons pris l'omnibus ; elles ont été d'une raison parfaite toutes deux, pas l'ombre d'une grimace ; je retournerai demain matin encore chez M. Pilette, parce que la dent d’Émilie que j'ai trouvée gâtée une fois la voisine enlevée, est un peu sensible ; et puisque je me trouve forcément retenue à Paris je crois utile d'en profiter pour faire soigner les bouches, mais comme je te le disais, le dentiste a trouvé que maintenant l'ensemble était bon.
Au retour encore en omnibus après 2 petits achats modestes, et en ce moment Émilie se repose un peu sur le canapé, Marie écrit son journal en attendant qu'on rentre de l'autre appartement pour le déjeuner.
Les nouvelles politiques sont les mêmes qu'hier soir ; c'est à dire pas de nouvelles ; confiance que Bazaine exécute sa retraite combinée ; l'emprunt qui se couvre ; et les dépêches venant de Berlin moins confiantes, et malgré l'audace Bismarck on sent que les combats du 14, 16, 18 n'ont pas été des victoires pour eux l'ennemi, comme on avait voulu le faire croire au 1er moment par les dépêches étrangères. On rapporte que des Prussiens auraient été vus sur le territoire Belge et tués comme violant la neutralité. Tout cela des on-dit. Attendons. Tu dois recevoir les journaux, car au grand bureau <le> buraliste a dit à Cécile[5] qu'il acceptait les journaux, mais que les jours derniers ils avaient retenus les journaux ne les faisant pas partir avec les lettres. Pourquoi ? D'après les bruits c'est lorsqu'ils n'ont pas la certitude que les voies sont libres afin de ne pas livrer trop de journaux aux bonnes troupes prussiennes.
Nous allons à 1 h 1/2 au camp de St Maur. Voilà une partie. Maman[6], Aglaé[7], nos fillettes et moi.
Merci pour ton bon petit mot de Lundi. Je vois que tu vas bien et que tu t'occupes toujours activement.
1 h 1/2
J'ai reçu hier une lettre d’Émilie[8], je lui récrirai.
Les avis sont si partagés que personne ne veut me donner de conseil sur la question Paris ou Launay. Généralement on se croit plus en sûreté à Paris qu'ailleurs. M. Delafosse vient de rentrer cette nuit de Dieppe avec toute sa famille. A la grâce de Dieu.
Les environs de Paris ont une grande anxiété.
On ne nous dit rien dans les journaux de la marche des Prussiens, je ne les crois pas très loin.
Adieu, Mon cher Ami, je t'embrasse bien bien fort, nos petites filles en font autant ; Émilie étudie son piano, et Marie écrit en attendant le moment de partir...
Je ne t'envoie pas de journaux, car rien de plus qu'hier. Le camp de Châlons complètement abandonné...
Encore mille amitiés à qui de droit
ta Nie
Notes
- ↑ Julien Desnoyers.
- ↑ La petite Émilie Mertzdorff.
- ↑ Ernest Pillette.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Cécile, bonne des petites Mertzdorff.
- ↑ Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 23 et mercredi 24 août 1870. Lettre d’Eugénie Desnoyers (Paris) à son époux Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_23_et_mercredi_24_ao%C3%BBt_1870&oldid=61679 (accédée le 21 novembre 2024).
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