Mardi 22 février 1876 (A)
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Vieux-Thann le 22 février 76[1].
Ma chère Marie
J’étais bien heureux ce matin de lire ta bonne missive. Te voilà donc complètement remise. Reste encore ce pauvre Oncle[2] qui à l’heure qu’il est a une dent de moins, mais aussi un vilain mal de moins. C’est tante[3] qui reste la dernière à se défaire de sa grippe mais rien d’étonnant & nous savons tous pourquoi & si Alphonse ne grondait pas quelquefois & ne pensait à sa santé à elle, Je ne sais où nous serions tous.
Je t’assure que je pense souvent à la famille Brongniart qui vient d’être bien cruellement éprouvée[4].
Nous avons eu il y a 2 jours la première visite de nos cigognes, qui s’en vont toutes noires & reviennent en belle toilette blanche chaque printemps. Car je compte bien ne plus voir de Neige quoique ce soit encore de bonne heure. & que d’habitude ce n’est que mi Mars que ces bêtes nous arrivent. & tu sais qu’elles sont chaque fois bien reçues chez nous.
Autrement la vie est bien tranquille chez moi. Dernièrement nos jeunes Messieurs[5] voulaient faire une partie de cartes, mais la maison fouillée dans tous les recoins, impossible de mettre la main sur un jeu de cartes passable & force d’y renoncer.
Depuis ces Messieurs ont acquis le précieux passe-temps & jouent dans leur salon à eux, où j’ai donné la permission de fumer. M. Stoecklin[6] devait quelquefois venir passer la soirée chez nous, mais une fois installé après son souper, il fait sa partie avec l’Oncle[7] & il lui arrive, ce que j’éprouve aussi – la paresse & chacun reste chez lui.
Maintenant qu’il fait moins froid l’on passe à 8 h au billard où l’on fait une partie ou deux & je laisse les jeunes à leur jeu & je monte auprès de mes journaux. Depuis que je suis rentré je n’étais pas à Mulhouse & n’ai aucun désir d’y aller, s’il y a quelque réunion je préfère m’y faire représenter.
Je n’ai pas encore reçu de réponse de tante Zaepffel[8] probablement qu’elle est embarrassée. Tu sais que c’est chez elle qu’aura lieu la noce de sa nièce[9] ce qui lui donne beaucoup de préoccupation, elle est de même chargée des 2 corbeilles de noce pour frère[10] & sœur & comme elle veut toujours trop bien faire les choses l’embarras est grand & les dépenses aussi. Dès que je saurai quelque chose je [t]’en informerai.
Les plaisirs ici abondent. Samedi il y avait bal, Concert ; les Henriet y étaient mais non en toilette de bal, ils sont resté un peu après la musique pour voir danser mais sans se livrer elle mêmes à ce plaisir. Probablement que la foule était trop mêlée. Les Berger sont en deuil & ne vont pas dans le monde.
Ce soir spectacle & français encore – toujours même salle de l’hôtel de ville. C’est bien tentant & cependant je préfère mon petit coin du feu que je ne quitterai pas pour ces grandes curiosités. car cela doit être réellement fort curieux, si ce n’est autrement enchanteur.
Ta prochaine me donnera des nouvelles sur les suites de l’accident arrivé à M. Edward[11]. J’espère que ce ne sera pas plus grave que celui de Vierville.
Tu comprends que lorsque je vous sais un peu souffrantes, je ne suis pas du tout à mon aise non plus dans ma réclusion & que je me demande bien souvent dans mes pérégrinations autour de mes sales bâtiments comment va-t-on maintenant, que fait on ? & mille questions pareilles aussi suis-je toujours au poste lorsqu’arrive Melcher[12] vers 11h ½ ce qui est bien tard pour un courrier qui est dès 6h du matin à Belfort ! Maintenant que j’ai de ta prose que je sais & que je vois que tu vas de nouveau comme une grande & grosse personne de 17 ans doit, ou devrait aller, me voilà de nouveau dans mon état normal. & je prends quelques vilaines prises de plus dans ma journée. Résultat final, au grand contentement de ce vilain nez.
Voilà déjà le gazon qui prend une petite teinte verte, l’herbe pousse pour se faire regeler sans doute. Ce à quoi l’on s’expose lorsque l’on veut s’émanciper trop jeune.
Ce qui peut bien enfin arriver au suffrage universel. le pauvre M. Buffet[13] doit savoir ce qu’il y a à en attendre mais il n’est pas le premier & ne sera le dernier. Embrasse bien ta chère sœur[14], tante et Oncle & de ne pas m’oublier auprès de M. Edward & surtout ne pas l’oublier en m’écrivant.
nous avons un nouvel employé de Morschwiller ici. C’est Louis Buisson ingénieur en second. vont-ils faire bon ménage avec Legay[15], c’est ce que je ne sais encore ; mais nous avions besoin de quelqu’un & Léon[16] tient beaucoup à ses amis de Morschwiller.
la serre est assez belle & il y aurait moyen de vous envoyer un joli bouquet de Camélias & autres. Mais à qui profitent toutes ces choses ?
adieu mon gros Θ (copie conforme[17]) je t’embrasse mille & mille fois.
ChsMff
Notes
- ↑ Voir sur le fac-similé le croquis d’une cigogne.
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Adolphe Brongniart vient de mourir.
- ↑ Léon Duméril et Georges Duméril.
- ↑ Probablement Jean Stoecklin , plutôt que son fils Alfred Stoecklin.
- ↑ Georges Heuchel.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Marie Zaepffel.
- ↑ Henry Zaepffel, frère de Marie.
- ↑ Henry Milne-Edwards.
- ↑ Melchior Neef, concierge.
- ↑ Louis Joseph Buffet.
- ↑ La jeune Emilie Mertzdorff.
- ↑ Probablement Eustache Legay.
- ↑ Léon Duméril.
- ↑ Voir le petit dessin de Marie dans la lettre précédente.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Mardi 22 février 1876 (A). Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_22_f%C3%A9vrier_1876_(A)&oldid=54045 (accédée le 22 décembre 2024).
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