Mardi 14 février 1905

De Une correspondance familiale




Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris)


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Mardi 14 Février[1]

Ma chère Marie,

J’ai su par une gentille lettre de Marie Thérèse[2] (dont je la remercie par ton intermédiaire) que tu t’étais décidée à aller à l’enterrement de la pauvre Mme de Fontenay[3]. Je sais combien vous aimez vos bons amis de Fontenay et je me rends bien compte du chagrin que doit vous causer cette mort aussi bien que la désolation du pauvre survivant !

J’espère que ce voyage ne t’aura pas fatiguée et que tu n’en rapporteras pas un rhume. Ici nous n’en sortons pas : Louis[4] a enfin la rougeole, peu d’éruption, mais il tousse beaucoup et est assez dolent ; Pierre[5] recommence quelque chose ! il a eu aujourd’hui une assez forte fièvre et a été très accablé toute la journée, tout cela n’est pas justifié par le petit mal de gorge dont il se plaint. Le plus ennuyeux c’est que les nouvelles de Jacques[6] ne sont pas encore parfaites ; il nous dit qu’il a toujours mal à la tête et éprouve une fatigue générale qui l’empêche de se livrer à un travail très suivi. Il suit ses cours mais ne fait pas tous les devoirs. Nous sommes fort ennuyés de le voir traîner ainsi et j’ai bien l’intention de partir après-demain pour aller passer 3 ou 4 jours avec  lui, si Louis est en bonne voie et si Pierre n’est pas malade.

Ma cuisinière a, depuis Vendredi, une petite fille que l’on n’attendait que dans 3 ou 4 semaines[7], tout va bien heureusement mais la maison se trouve un peu désorganisée par son absence ; c’est Nestor qui fait la cuisine.

Damas[8] a été Dimanche à Campagne passer seulement quelques heures. Nous avions été très bouleversés par l’annonce dans le Journal de Montreuil d’une conférence[9] pour ce jour-là, à Campagne, d’un certain prêtre défroqué qui, payé probablement par la franc-maçonnerie, parcourt tout le pays en débitant partout les même horreurs. Il s’attaque à la religion, aux prêtres, dit des choses épouvantables sur la confession et termine ses conférences en faisant voter l’assistance pour la séparation de l’Église et de l’État. Ne pouvant aller lui-même lui tenir tête et ne trouvant personne qui soit capable de le faire ou disposé à s’en donner la peine, Damas s’est décidé Samedi à rédiger une lettre ouverte qui servît de réfutation à la Conférence, et signée les Catholiques de Campagne. Je l’enverrai demain à tante C.[10] que cela amusera, elle te la montrera. Naturellement il n’a pas paru dans tout ceci : c’est moi qui ai tenu la plume et le père d’un ami de Jacques[11] s’est chargé de faire imprimer. C’est lui qui a interrompu ma lettre Samedi soir et m’a empêchée de te conter cette histoire. Grâce au dévouement de cet excellent homme, nous avons eu les 500 petites feuilles le soir même et Damas a pu les porter à Campagne pour les faire distribuer par les soins du vicaire[12] avant la conférence, au grand soulagement de notre pauvre Curé[13] qui est maintenant un vieillard.

Bien entendu, je te dis tout cela en confidence. Je t’embrasse de tout mon cœur ma chérie.

Ta vieille sœur de 44 ans[14].

Émilie


Notes

  1. Lettre sur papier deuil.
  2. Marie Thérèse de Fréville.
  3. Pauline Chagrin de Saint-Hilaire, épouse de Louis Vincent Marie de Fontenay.
  4. Louis Froissart.
  5. Pierre Froissart.
  6. Jacques Froissart, pensionnaire.
  7. Gabrielle Bricout, fille de Nestor Bricout et Élodie Lecomte, naît le 10 février 1905.
  8. Damas Froissart.
  9. Le Journal de Montreuil du 19 février annonce une conférence à Montreuil d’Émile Lemaître : « religion et cléricalisme ».
  10. Cécile Milne-Edwards, veuve d'Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  11. Ami non identifié.
  12. Hypothèse : Henri Dacbert.
  13. Fortuné Deléval.
  14. Émilie Mertzdorff-Froissart est née le 14 février 1861.

Notice bibliographie

D’après l’original.


Pour citer cette page

« Mardi 14 février 1905. Lettre d’Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart (Douai), à sa sœur Marie Mertzdorff, épouse de Marcel de Fréville (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_14_f%C3%A9vrier_1905&oldid=55723 (accédée le 29 mars 2024).

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