Mardi 12 novembre 1878 (B)

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1878-11-12B pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-11-12B pages 2-3.jpg


Paris 12 Novembre 78.

Qui faut-il accuser, mon Papa chéri ? Rien de toi encore ce matin ! est-ce la faute de Melcher[1], des Prussiens ou de la poste française ? ou bien, ou bien (j’ose à peine le dire) est-ce toi qui nous a oubliées ? Oh ! non, j’aime mieux ne pas le croire ; mais dans tous les cas ce matin nous étions fort inquiètes surtout en trouvant à la place de la lettre attendue une lettre de bonne-maman[2] adressée à tante[3], tu comprends si notre imagination marchait ; heureusement que bonne-maman commençait par dire que tu avais fait bon voyage et cela nous a rassurées et nous cherchons à nous persuader maintenant qu’il y a eu un courrier de perdu, néanmoins nous avons été bien heureuses d’entendre parler de toi et nous aspirons après des nouvelles plus détaillées. J’espère que cette lettre va se croiser en route avec un petit mot de toi qui sera le bienvenu ici demain matin. Maintenant que je t’ai grondé, mon cher Papa, (ce qui n’est guère dans l’ordre des choses) à moi de te demander pardon pour la manière si brusque dont je t’ai quitté hier. J’étais bien contente de ne pas manquer mon cours de littérature, j’ai fait les deux courses en voiture avec voile et chaufferette et cela ne m’a fait aucun mal ; j’ai trouvé au cours une quantité de personnes de connaissance, nous sommes très nombreuses cette année et surtout des anciennes de [ma] division et même plus vieilles que moi que j’ai grand plaisir à revoir. La leçon a été très bien faite sur Boileau, je crois que nous commençons une période très intéressante.

Ce matin nous avons eu Mlle Duponchel[4] j’ai enfin terminé ma Sainte Marguerite et commencé une bosse pour me remettre en train avant d’aller la semaine prochaine chez M. Flandrin[5]. Après le déjeuner Mlle Magdeleine[6] est venue, je crois que cette année je vais bien profiter de ses leçons qui m’amusent plus que jamais parce que je les comprends mieux ; je vais tâcher de les rédiger exactement afin d’avoir mon cours complet.

Il est arrivé hier un accident à la ménagerie qui a bien tourmenté notre pauvre oncle[7] : Pyber, le meilleur de tous les gardiens, un très brave homme dont on n’a jamais eu qu’à se louer a eu la main à moitié mangée par un zèbre ordinairement très doux ; on craignait d’abord que ce ne fût très grave mais ce matin on espère qu’il n’y a aucune fracture dangereuse et qu’on pourra le guérir, il est à la Pitié. M. Huet[8]t y va sans cesse dans un instant il va venir rapporter la réponse du chirurgien.

Nous ne sortirons pas aujourd’hui ; cependant mon rhume continue à mieux aller je crois que d’ici à bien peu de jours j’en serai complètement débarrassée ; tante prétend que ce sera une cure merveilleuse opérée par l’eucalyptus ; moi j’y ai moins grande confiance toutefois je continue à en absorber plusieurs petites tasses par jour.

Voilà depuis Dimanche l’exposition fermée ; il paraît que c’est un dédale affreux et qu’on a grande peine à ravoir et à emporter ses affaires. Je t’assure qu’on n’est plus tenté d’y aller et qu’on va bien vite en oublier le chemin. Pauvre exposition elle a fini son temps !

L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive,
Il coule et nous passons !

Adieu, mon Père chéri, chéri, je t’embrasse un octillon[9] de fois avec toute la force dont je suis capable aussi je suis sûre que je vais avoir les joues toutes rouges.
ta fille qui t’aime de tout son cœur
Marie

Mon père chéri, pardonne-moi et ne lis pas je t’en prie le commencement de cette lettre ; il est 4h et on me remet à l’instant ta bonne lettre d’hier qui nous apprend que tu vas bien et que tu as trouvé de même les personnes et les choses. Merci, merci mon Papa mignon, ta lettre a causé une joie générale. Merci pour tous les détails que tu nous donnes.

Émilie[10] a été très mécontente que je t’aie écrit car elle comptait le faire ; c’est partie remise à demain.


Notes

  1. Melchior Neeff, concierge chez Charles Mertzdorff.
  2. Félicité Duméril, épouse de Louis Daniel Constant Duméril.
  3. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  4. Marie Louise Duponchel.
  5. Paul Flandrin.
  6. Mlle Magdeleine donne des cours de beaux-arts.
  7. Alphonse Milne-Edwards.
  8. Probablement Joseph Huet.
  9. En mathématiques : un million de septillions, soit 1048.
  10. Émilie Mertzdorff, sœur de Marie.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Mardi 12 novembre 1878 (B). Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Mardi_12_novembre_1878_(B)&oldid=60854 (accédée le 18 décembre 2024).

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