Samedi 16 novembre 1878

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1878-11-16 pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-11-16 pages 2-3.jpg


Paris 16 Novembre 78.

Mon cher Papa,

C’est avec grande joie que je viens t’écrire car je ne sortais plus de mon dessin ; je viens de recommencer une bosse de face et je fais tout simplement une horreur ; le nez va à gauche, la bouche à droite, les yeux courent l’un après l’autre et les cheveux forment autour de la tête une sorte de bonnet de nuit ! Juge de l’ensemble ! Aussi comme j’y travaille depuis 1h1/2 je garde pour demain le plaisir de la débarbouiller et de la redresser si toutefois j’y arrive.

Nous allons dans un instant partir à l’english cours[1] ; nous avions une longue histoire anglaise à raconter par écrit, j’en ai cinq pages et Emilie[2] six mais je prétends que c’est du français recouvert d’une couche de mots anglais et qu’il n’y a pas une bonne tournure. Nous emmènerons avec nous Marthe[3] et peut-être Jeanne Brongniart.

Hier nous avons eu une fort agréable journée, nous avons été chez Paulette[4] puis de là aux chœurs où Emilie s’amuse plus que jamais, je lui faisais passer un interrogatoire à ce sujet et elle m’a dit que non seulement cela c’était celui de ses cours qu’elle préférait mais que c’était pour elle un immense plaisir et qu’elle aimerait mieux part exemple ne pas danser une seule fois de l’années que de manquer ses chœurs ! Moi qui n’aime guère la musique et qui ne suis là qu’à titre de spectateur je ne partage pas tout à fait son enthousiasme.

Mme Dumas[5] est partie Jeudi soir avec Jean[6] et M. Cornec[7], on a reçu ce matin de ses nouvelles, il paraît qu’elle a fait bon voyage et qu’elle n’est pas trop fatiguée ; malheureusement la pluie l’a suivie à Arcachon et sa première impression n’a par conséquent pas été des plus gaies. Je la plains bien d’être forcée de s’exiler ainsi pendant 6 mois loin de sa maison et de tous les siens.

Les grippes vont de mieux en mieux ; je tousse à peine et reprends ma vie ordinaire à mon grandissime bonheur (quoique je n’aie été que 2 jours sans sortir) oncle[8] va bien aussi et va toutes le après-midi passer quelques heures au laboratoire, il paraît décidé à reprendre son cours Mardi. Nous trouvons que c’est un peu tôt car il a la voix encore un peu enrouée et nous avons peur qu’il ne se la casse complètement de nouveau.

Le gardien dont je te parlais l’autre jour[9] va mieux il paraît que ce sera très long mais les os ne sont pas cassés et l’on espère bien le guérir tout à fait. Ce qui est singulier c’est que le zèbre ordinairement si doux est devenu furieux depuis ce jour-là, il a cassé son licou et on a été pendant longtemps sans même oser l’approcher ; on a fini par le faire entrer dans une cage mais il s’y est tant démené qu’il a failli la faire casser ; on se demande ce qui lui est arrivé pour le rendre ainsi fou.

Le temps a l’air de se remettre au sec depuis hier, nous n’avons pas encore eu de vraie gelée, Jeudi seulement il est tombé un mélange de pluie et de neige qui fondait aussitôt.

Emilie a reçu ce matin une lettre de tante Marie[10] et te charge de l’en remercier ; ci-joint une devinette de bateau que je te prierai de lui remettre de ma part quoiqu’elle ne soit guère jolie.

Adieu mon Père chéri, je t’embrasse de toutes mes forces autant de fois que possible.
ta fille qui t’aime de tout son cœur
Marie
Merci mille fois pour tes lettres.


Notes

  1. Cours d’anglais donné par Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé.
  2. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  3. Marthe Pavet de Courteille.
  4. Paule Arnould.
  5. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas.
  6. Jean Dumas.
  7. M. Cornec, précepteur de Jean Dumas.
  8. Alphonse Milne-Edwards.
  9. M. Pyber. Voir la lettre du 12 novembre.
  10. Marie Stackler, épouse de Léon Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Samedi 16 novembre 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Samedi_16_novembre_1878&oldid=42528 (accédée le 18 décembre 2024).

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