Lundi 8 décembre 1879

De Une correspondance familiale

Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)

original de la lettre 1879-12-08 pages 1-4.jpg original de la lettre 1879-12-08 pages 2-3.jpg


Quel temps, quel temps, mon Père chéri ! c’est désolant à voir ! Que deviens-tu sous ces tourbillons de neige et avec une température pareille ? Si tu savais comme nous pensons à toi ! et encore tu as de quoi te chauffer et tu peux si cela te convient rester au coin de ton feu mais les pauvres gens comme ils doivent souffrir !

Ce qui m’ennuie c’est la pensée que peut-être les trains sont coupés et que tu ne reçois plus régulièrement de nos nouvelles comme nous aussi nous sommes privés des tiennes, nous n’avons pas reçu de lettre de toi depuis Mercredi matin est-ce parce qu’elles n’arrivent pas ou parce que tu n’écris pas ? C’est ce que nous ne saurions dire. Tu nous annonçais qu’oncle Georges[1] était très malade et depuis nous n’avons rien appris aussi je t’en conjure mon petit Papa, quand ce ne serait que de petits mots, écris-nous souvent ; si les lettres ne peuvent venir directement par la voie ordinaire elles finiront bien par trouver moyen d’arriver et quand on se sent séparé par un pareil mur de neige on aime plus que jamais à entendre parler les uns des autres, sois sûr que de notre côté nous serons aussi bien exactes dans notre correspondance. Du reste les nouvelles sont toujours excellentes ; tante[2] seule est encore fatiguée et a été reprise Jeudi et Vendredi de fièvre le soir ce qui fait qu’on l’empêche absolument de sortir. Émilie[3] et moi nous nous portons à merveille ; et malgré le froid extrême nous ne songeons pas à nous enrhumer au contraire chaque fois que nous avons été dehors nous rentrons avec une provision de chaleur.

Samedi comme les chemins étaient un peu frayés dans la neige de l’avant-veille nous avons été au cours de chimie avec Élise[4] qui de là nous a conduites chez Mme Foussé[5] d’où nous sommes revenues en bande conduites par la bonne tante Louise[6].

Hier Dimanche c’est elle encore qui nous a menées à la messe à 7h ; en rentrant comme la neige m’attirait beaucoup j’ai été avec oncle[7] faire un tour de ménagerie où on a bien du mal je t’assure en ce moment ; aussi le pauvre oncle est continuellement sur la brèche, les jambes dans la neige gelée presque jusqu’aux genoux pour veiller à ce que ses animaux ne souffrent pas trop. Après le déjeuner cela a été au tour d’Émilie de se promener et elle est partie avec oncle et ses patins à Vincennes dans l’espoir de trouver une vaste surface gelée où elle puisse faire ses premières armes ; mais à Fontenay on ne permettait pas de marcher sur la glace et à Vincennes la neige couvrait le lac de sorte qu’ils sont rentrés bredouille. Jeanne[8] et Marthe[9] sont venues dans l’après-midi. Ce matin il faisait un froid terrible 14° !. Cette nuit le thermomètre marquait plus de 25°. De plus la neige recommence à tomber avec violence les chemins sont de nouveau couverts c’est affreux, les tramways ne marchent plus et sont remplacés par des omnibus de toutes les paroisses attelés de 4 ou 8 chevaux ; on ne voit plus de fiacres et comme le conseil municipal trouve trop coûteux de nettoyer les rues on ne balaye que légèrement les trottoirs et le milieu est dans un état épouvantable. Paris a un aspect extraordinaire et singulièrement triste ; nous aimons beaucoup à sortir aussi dans un instant nous allons partir au cours de physique toujours sous la garde de la respectable Élise ; nous n’avons aucune nouvelle de Cécile[10].

Adieu Père chéri, à bientôt je l’espère une lettre de toi en attendant je t’embrasse de tout mon cœur comme je t’aime.
Marie

Mon père chéri,

j’ajoute un petit supplément à la lettre de Marie pour te demander un service. Je fais à Hélène[11] pour le's jour de l’an un petit fauteuil, ou plutôt la tapisserie et je serais bien contente si tu voulais demander à M. Braesch[12] de venir voir à la maison le petit fauteuil à boutons de roses qui est dans notre chambre et de s’en procurer un du même genre ; je t’enverrai les bandes de tapisserie aussitôt qu’elles seront faites et M. Braesch aura à les monter avec ['xxx'] ; en attendant je voudrais qu’il te donne les mesures du fauteuil pour que je sache quelle longueur je dois donner à mes petites bandes.
Je ne sais pas si tu comprendras cette explication ambiguë, mon pauvre papa ; dans tous les cas il faudra que tu fasses appel à toute ton intelligence pour remplacer celle qui manque à mes paroles.

Je profite de ce petit mot pour y joindre tous mes meilleurs baisers pour toi mon papa chéri.
Émilie


Notes

  1. Georges Heuchel.
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. Emilie Mertzdorff, sœur de Marie.
  4. Elise, employée par les Milne-Edwards.
  5. Céline Silvestre de Sacy, épouse de Frédéric Foussé, qui donne des cours d’anglais.
  6. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille.
  7. Alphonse Milne-Edwards.
  8. Jeanne Pavet de Courteille ? Jeanne Brongniart ?
  9. Marthe Pavet de Courteille.
  10. Cécile Besançon, bonne des demoiselles Mertzdorff.
  11. Hélène Duméril.
  12. Le tapissier Jacques Braesch.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 8 décembre 1879. Lettre de Marie et Emilie Mertzdorff (Paris) à leur père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_8_d%C3%A9cembre_1879&oldid=42795 (accédée le 21 novembre 2024).

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