Lundi 5 mars 1917

De Une correspondance familiale


Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front)


original de la lettre 1917-03-05 pages 1-4.jpg original de la lettre 1917-03-05 pages 2-3.jpg


29, RUE DE SÈVRES, VIE[1]    

le 5 Mars 1917

Mon cher Louis,

Ta carte du 1er Mars nous arrive : nous apprendrons avec intérêt que tu n’es plus nomade et que tu as le temps d’écrire ! Tu nous dis l’important, à savoir que tu vas bien, bien que tu ne sois ni au foyer paternel, ni à quelque foyer concurrent.

Rien que tu ne saches de Michel[2] ! si on ne savait pas, par une récente expérience, qu’il est dangereux de se croire trop tôt en état de se lever, on n’hésiterait pas à lui dire : « Insurge ».

Mais il ne faudrait pas qu’il refasse 40°9 le lendemain : il semble acquis qu’il n’a pas du tout de réserve de forces, de « globules blancs », pour mettre en fuite les mauvais microbes quand il s’en présente : il lui en faudrait, pour que ses plaies se ferment, elles ne progressent pas comme avec un malade en état de réagir ! Mais il a bonne figure, il bouquine sans fatigue, et attend patiemment.

Jacques[3] nous a quittés ce matin pour retourner à Meaux où il recevra vraisemblablement, bientôt, le galon de sous-lieutenant et une « destination ». Toujours assez pessimiste, il augurait volontiers assez mal, en observant que sa nomination ne lui est pas arrivée, au cours de sa permission de 8 jours ! Je crois qu’elle viendra, et aussi qu’il n’a rien à craindre de certain projet de Loi, tendant à diriger sur le front de nombreux embusqués de l’intendance, du service de santé et du service automobile qui se prélassent à l’intérieur bien qu’appartenant, par leur âge, à l’active et à la Réserve. Les sections automobile TM TP[4] ne sont pas visées comme étant des [ ] : il en faisait partie il y a 4 mois, et se rendait pour elles là où on veut que les dits embusqués aillent.

Pierre[5] écrit qu’il repasse dans une batterie de son groupe ayant comme [Commandant de Batterie] son copain [Begol].

Henri[6] est toujours à Versailles, malgré un grand chambardement de son service : il est décidé que Lucie[7] revient chez nous vendredi pour l’événement qu’elle attend vers le 20 mars[8]. Bertha[9] viendra chez nous. Louise Bénard[10] va être appelée, mais elle a à subir un petit séjour à l’hôpital avant de reprendre son service (Hernie).

Sais-tu que nous avons eu Laure[11] et Gabrielle[12], cette dernière venue à Paris pour arrêter une installation à Vincennes avec son mari qui va y être employé. Elle va y ramener ses enfants[13] bientôt.

Vu Guy de Place en permission la semaine dernière (toujours vers Compiègne), nous nous sommes un peu chamaillés pour Vieux-Thann : l’accord semble fait ?

Je ne serai pas longtemps à aller marquer ma vente de futaie au Bois de [Rue] : et peut-être vais-je avoir à résoudre des questions plus complexes ? Les Anglais TSF qui croissent et multiplient (honni soit qui mal y pense) à Campagne voudraient avoir ma grange et même le reste de notre maison : peut-être réquisitionneront-ils si on résiste ! Le nouvel [ordre de choses] à créer mérite qu’on y réfléchisse !

Vais-je louer les terres que Pottier[14] est censé cultiver et à qui ? à Mlle Vasseur ? ou au détail ? ou à Sainte Maresville, à qui je colloquerais Pottier, qui ne peut-être renvoyé à Campagne, qu’à la condition d’y [assurer] tout son temps à la culture ! En attendant, il est à l’hôpital à Orléans, rhumatisant.

A Dommartin mort de Saint Michel un vieil ouvrier que tu dois connaître bien qu’il ne fit pas beaucoup de bruit. Grâce aux boches, ça va à peu près. Les Anglais voulaient louer ce qui semble indiquer que, avant les succès sur l’[A..] la cavalerie ne pourra pas traverser bientôt les lignes ennemies. Les routes maltraitées par les camions en plein dégel sont, de Montreuil à Campagne, abominables, écrit Alexandre[15]. Les trains d’ici à [Rang du Fliers] sont devenus tous omnibus. Un triste voyage m’attend !

Sais-tu que Nestor[16] s’est révélé comme étant, depuis un an, [ ] service auxiliaire (c'est-à-dire resté non mobilisé) et à l’hôpital Saint Louis comme [cocher] et gagne de bonnes journées et sa fille de 12 ans[17] vient de la rejoindre revenant de Cambrai toute seule, le fils[18] quoiqu’infirme n’ayant pas pu partir et étant resté avec sa mère[19] là-bas. Ta mère[20] est priée de trouver une pension pour la petite Gabrielle.

Sache encore que le « Journal de Montreuil » consacre toutes ses colonnes de dimanche au Compte-Rendu d’une grande réunion (blocarde) ayant pour objet de remettre la légion d’honneur et le titre de « citoyen de Montreuil » à M. [Howland], l’américain qui finance pour la solidarité. Les temps sont favorables pour fêter un citoyen des États-Unis !

Mille amitiés. Écris souvent.

D. Froissart


Notes

  1. En-tête imprimé.
  2. Michel Froissart, frère de Louis.
  3. Jacques Froissart, frère de Louis.
  4. T.M. : transport de matériel ; T.P. : transport de personnel.
  5. Pierre Froissart, frère de Louis.
  6. Henri Degroote.
  7. Lucie Froissart, épouse d’Henri Degroote.
  8. La naissance d’Odile Degroote.
  9. Bertha, possiblement employée par les Degroote.
  10. Louise Bruche, épouse de Georges Bénard, domestique chez les Froissart.
  11. Laure Froissart, épouse de Jules Legentil.
  12. Gabrielle Froissart, épouse d’Albert Tréca.
  13. Paul, Gérard ( ?) et Michel Tréca.
  14. Eloi Raymond Pottier.
  15. Alexandre Baudens, chauffeur de Damas Froissart à Campagne.
  16. Nestor Bricout.
  17. Gabrielle Bricout.
  18. Nestor Bricout fils.
  19. Élodie Lecomte, épouse de Nestor Bricout.
  20. Émilie Mertzdorff, épouse de Damas Froissart.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 5 mars 1917. Lettre de Damas Froissart (Paris) à son fils Louis Froissart (au front) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_5_mars_1917&oldid=59409 (accédée le 21 novembre 2024).

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