Lundi 31 octobre 1881 (A)

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


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Paris 31 Octobre 1881

Hé bien, mon pauvre père, tu es encore en chemin de fer, tu roules encore et comme te voilà loin de nous. Quelle vilaine chose que les séparations, on est si bien et si heureux ensemble, pourquoi donc ne peut-on jamais en jouir longtemps de suite ? Comment as-tu passé la nuit à Berne ? j’espère que tu auras dormi aussi bien que moi, c’est le meilleur souhait que je peux te faire. Notre voyage s’est accompli sans le moindre accident ou incident. Nous avons [conservé] jusqu’à Paris le wagon où [tu] nous a mis et nous avons pu le garder pour nous seuls bien que le train fût des mieux rempli. En te quittant, on avait le cœur trop gros pour entretenir une conversation bien animée, aussi chacun a-t-il pris son livre ou son journal et on a continué longtemps à lire à la lueur de la lampe. Marie[1] a dîné un peu avant d’arriver à Pontarlier et elle est restée avec la petite[2] tandis que nous descendions tous pour la douane et pour le dîner. Nous avons trouvé pas mal de neige à la frontière et il y en avait plus encore (paraît-il) à Dijon. Cependant nous sommes loin d’avoir eu froid ; on nous changeait si souvent nos boules et nous étions si nombreux que nous avions même trop chaud par moments et on a plusieurs fois ouvert la fenêtre ; c’est à peine si nous nous sommes servi un instant de nos couvertures ; il n’y a qu’oncle et tante[3] qui aient gardé les leurs. Jeanne a dormi dans la perfection, le bercement du chemin de fer lui était on ne peut plus agréable et il paraît qu’elle s’est seulement réveillée 2 fois pour téter. Nous nous sommes séparés à la gare, un omnibus allant rue Cassette et l’autre au Jardin des Plantes. Nous avons trouvé tout le monde bien ici : M. Edwards[4] a eu un peu mal à l’estomac mais c’est passé à présent et il a l’air bienheureux de voir la maison se repeupler.

Crabe[5] a été des plus tendres. Nous avons eu la surprise de trouver ici Jean[6] qui avait dîné hier et couché chez son grand-père. Il a bonne mine et travaille sans trop de fatigue. Un instant avant le déjeuner, tante Louise[7] et Marthe sont venues. Marthe travaille beaucoup, elle a repris presque toutes ses leçons, mais cela ne lui fait rien perdre de ses belles couleurs ; elle a une mine resplendissante. Elle vient d’apprendre qu’elle a été classée à 3e sur 24 pour son concours de physique fait à la Sorbonne, le printemps dernier. C’est un beau succès qui va encore augmenter son ardeur.

Ne te semble-t-il pas étrange de penser qu’hier à cette heure-ci nous étions encore tous réunis au bord de notre beau lac et que maintenant nous sommes tellement dispersés. Je t’en prie, mon père chéri, reviens bientôt c’est si triste d’être loin les uns des autres. Promets-moi que tu ne resteras pas jusqu’à Noël, ce serait si long…

Adieu papa chéri, je ne sais pas bien où t’attraper pour t’embrasser ; es-tu près de Bâle ? ou es-tu déjà parti ? Enfin ma lettre te trouvera à Vieux-Thann et c’est là qu’elle te remettra mes bons baisers et toutes les amitiés dont je suis chargée pour toi puisque je ne peux plus aller tous les matins te dire mon petit bonjour.

Ta fille

Émilie

Bonne-maman et bon-papa[8] sont-ils encore à Vieux-Thann ? si tu les trouves encore charge-toi de toutes mes tendresses pour eux. As-tu trouvé le hochet dans l’armoire de joujoux à la place indiquée ?

Croirais-tu que le mouvement du chemin de fer a fait recouvrer le sien à ma pauvre montre inanimée ? elle s’est mise en marche cette nuit et ne s’est plus arrêtée. Autre phénomène : j’ai retrouvé la broche de Marie et devines où ? dans ma tapisserie. Le nœud de dentelle y était roulé avec mes laines et comme je n’y avais pas travaillé depuis quelques jours je ne m’en étais pas aperçu.


Notes

  1. Marie Mertzdorff-de Fréville, sœur d’Émilie.
  2. Jeanne de Fréville.
  3. Alphonse Milne-Edwards et son épouse Aglaé Desnoyers.
  4. Henri Milne-Edwards.
  5. Crabe, ou Krab, chien d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Jean Dumas, petit-fils d’Henri Milne-Edwards.
  7. Louise Milne-Edwards, veuve de Daniel Pavet de Courteille et mère de Marthe Pavet de Courteille.
  8. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Lundi 31 octobre 1881 (A). Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_31_octobre_1881_(A)&oldid=40547 (accédée le 15 novembre 2024).

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