Lundi 26 septembre 1870 (A)

De Une correspondance familiale


Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller)


livre de copies, vol. 2, p. 617 (lettre 1870-09-26A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 618 (lettre 1870-09-26A).jpg livre de copies, vol. 2, p. 619 (lettre 1870-09-26A).jpg


26 Septembre 1870.

Mes chers amis,

Après avoir cherché, le 20, à profiter des tentatives que les Postes voulaient faire, d’acheminer les lettres dans les départements, lesquelles n’ont guère réussi, à ce qu’il paraît, mon n° 5 ne vous sera sans doute pas parvenu : je veux aujourd’hui, comme Adèle[1] l’a fait hier, pour son mari, essayer du ballon Nadar[2], qui a organisé un service postal, appelé peut-être à rendre de grands services. Comme ici les chances sont encore bien incertaines, je me bornerai, sur cette feuille de papier mince, sans enveloppe (recommandation de l’administration), à vous donner très brièvement quelques nouvelles, dont vous devez être avides, dans l’état de si pénible isolement où nous vivons.

Les attaques, du côté des forts de Bicêtre et d’Ivry, et l’affaire très sérieuse de Villejuif[3], où nous avons remporté un avantage très marqué, qui a remonté un peu le moral, nous ont donné l’occasion d’entendre des canonnades, et le feu des mitrailleuses, mais rien de décisif n’est encore fait. C’est à Meudon que vont se concentrer tous les efforts de l’armée, et, de là, nous ne pouvons point recevoir de projectiles. L’esprit de la population parisienne est généralement bon, et les mobiles se montrent de la façon la plus remarquable. Nos destinées sont entre les mains de Dieu : espérons que, après tant d’échecs, un succès nous est réservé.

La bronchite, qui m’a tant fatigué, quoiqu’elle fût, en réalité, peu de chose, est presque dissipée : ma toux, si pénible, a presque complètement disparu, si ce n’est le matin, où elle amène encore de très vilains crachats, mais beaucoup moins abondants : les petits vésicatoires volants, et les emplâtres irritants de Thapsia[4] (2) ont produit de bons effets. Quoique sans appétit, je mange assez bien, et mes digestions se font sans difficulté, et, par suite de la cessation presque complète de la toux nocturne, j’ai déjà passé 3 ou 4 bonnes nuits, qui m’ont bien reposé. Ce qui persiste, c’est le gonflement considérable des membres inférieurs, qui me rend maintenant la marche difficile et fatigante. Je me promène cependant ½ heure, ou même quelquefois une heure, dans la ménagerie[5], mais lentement. Lecointe[6] se dit plus satisfait, et croit même que je commence à entrer dans la période décroissante du mal, mais, pour mon compte, je crois plutôt à une état stationnaire : si même il n’y a augmentation, et je suis porté à croire qu’il y en a un peu, du volume des membres inférieurs. Ici, on va très bien : la correspondance avec Chaumont[7] est interrompue. N’y a il donc aucun espoir pour vous, de faire porter une lettre ? cela nous ferait tant de plaisir. On a eu, il y a trois jours, de bonnes nouvelles de Julien[8].

Adieu, mille tendres amitiés. Parlez de nous aux Mertzdorff[9], en leur faisant toutes nos amitiés, et rappelez-nous au bon souvenir de M. et Mme Paul.


Notes

  1. Adèle Duméril, épouse de Félix Soleil et fille d’Auguste.
  2. Félix Tournachon, dit Nadar (1820-1910), photographe, aéronaute, dessinateur et écrivain.
  3. Le 19 septembre Paris et ses forts extérieurs sont encerclés par les armées allemandes ; le 22 septembre le plateau de Villejuif est repris.
  4. Toutes les parties de cette plante contiennent un suc très irritant ; des emplâtres sont préparés avec une résine tirée des racines.
  5. La ménagerie du Jardin des Plantes.
  6. Le docteur Charles Édouard Lecointe.
  7. Félix Soleil est caissier à la banque de Chaumont.
  8. Julien Desnoyers.
  9. Eugénie Desnoyers, son époux Charles Mertzdorff et les petites Marie et Emilie Mertzdorff.

Notice bibliographique

D’après le livre de copies : Lettres de Monsieur Auguste Duméril 2me volume (pages 617-619)

Pour citer cette page

« Lundi 26 septembre 1870 (A). Lettre d’Auguste Duméril (Paris) à son frère Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril (Morschwiller) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_26_septembre_1870_(A)&oldid=58801 (accédée le 8 décembre 2024).

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