Lundi 21 novembre 1881

De Une correspondance familiale

Lettre d’Émilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Nancy)


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21 Novembre 1881

Mon cher Papa,

Te voilà en route pour Nancy, mais j’espère que tu n’as pas le même temps que nous. Depuis ce matin il ne cesse de pleuvoir et de faire un vent épouvantable, ce sont de vraies bourrasques. Je voudrais bien que tu trouves tante Zaepffel[1] mieux ; mais je suis sûre que ta présence même lui fera du bien et je suis contente de te savoir auprès d’elle. Je serais bien contente aussi que le vent tourne à l’est et qu’il te pousse jusqu’ici avant que tu ne retournes à Vieux-Thann. Tu vas me dire que je suis bien ennuyeuse et que je ne t’écris pas une fois sans te répéter la même chose. Mais mon pauvre père, tu n’es pas au bout, car vois-tu, je le désire tant que je ne puis pas faire autrement que de le demander et le redemander toujours.

Tante[2] ne va pas encore aussi bien que nous le voudrions ; elle se lève comme d’habitude, mais elle est sans cesse fatiguée et sans avoir positivement de fièvre, elle éprouve souvent beaucoup de malaise et se plaint de mal de tête. Depuis Vendredi, elle n’est sortie qu’une seule fois en voiture hier pour aller à la messe, c’est assez pour te prouver combien elle se sent fatiguée. Elle s’occupe cependant toujours dans la maison à ranger des lettres et des papiers dans son bureau et, quand elle est moins bien, elle se met dans  un fauteuil et fait un vêtement quelconque pour Jeanne[3], c’est là sa plus grande distraction. C’est bien ennuyeux de la voir ainsi fatiguée sans motifs, décidément l’entrée de l’hiver lui est toujours funeste.

A part l’exception que je viens de faire, je puis te donner de bonnes nouvelles de toute la famille. Marcel et Marie[4] sont apparus hier soir comme deux météores pour prendre des nouvelles de tante. J’ai cru comprendre qu’ils revenaient de chez bonne-maman Desnoyers[5] et qu’ils avaient une voiture à la porte pour filer vite chez leur mère[6] où ils dînaient.

Hier j’ai eu une bien amusante journée. Tante Cécile[7] m’a emmenée avec Jean aux Français[8], comme je te l’avais dit déjà, pour voir Œdipe roi[9] et l’avocat Pathelin[10]. C’était la 1e fois que Jean allait au théâtre, pour moi ce n’était pas la 1e fois, mais je crois que je me suis encore plus amusée que lui. Les deux pièces ont été admirablement jouées, par les meilleurs acteurs. Œdipe, cette pièce complètement traduite du grec, et imitant autant que possible la pièce de Sophocle, est non seulement très belle, mais très curieuse. Tante Cécile l’a trouvée trop tragique et trop émouvante, il faut croire que j’ai le cœur bien dur et bien sec, mais cela ne pas [produit] le même effet. Tante Cécile avait proposé à Marthe[11] de l’emmener aussi, mais elle n’a pas voulu manquer pour cela le catéchisme, trouvant que ce serait donner un bien mauvais exemple. C’est [admirable, aussi tante se propose-t-elle de l’y emmener un jour où elle aurait vacances].

Adieu mon Papa chéri, je t’embrasse de tout mon cœur ainsi que tante Émilie et je te prie de lui dire que je voudrais bien la savoir tout à fait remise. J’espère que dans ta prochaine lettre que tu ne me donneras que de bonnes nouvelles. Fais aussi toute mes amitiés à l’oncle Edgar[12].

Émilie    


Notes

  1. Émilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel (« tante Émilie »).
  2. Aglaé Desnoyers, épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  3. La petite Jeanne de Fréville.
  4. Marcel de Fréville et son épouse Marie Mertzdorff, sœur d’Émilie.
  5. Jeanne Target, épouse de Jules Desnoyers.
  6. Sophie Villermé, veuve d’Ernest de Fréville.
  7. Cécile Milne-Edwards, épouse d’Ernest Charles Jean Baptiste Dumas et mère de Jean Dumas.
  8. Le Théâtre-Français ou la Comédie-Française.
  9. Œdipe Roi, tragédie de Sophocle traduite et adaptée par Jules Lacroix ; jouée avec Mounet-Sully dans le rôle d'Œdipe.
  10. La Farce de Maître Pathelin, pièce de théâtre médiévale, connaît plusieurs  adaptations, dont L'Avocat Patelin, comédie en trois actes de David Augustin de Brueys et Jean de Palaprat (1706) et La vraie Farce de Maître Pathelin, mise en trois actes et en vers modernes, par Édouard Fournier, créé à la Comédie-Française et éditée en 1872.
  11. Marthe Pavet de Courteille.
  12. Edgar Zaepffel.

Notice bibliographique

D’après l’original.

Pour citer cette page

« Lundi 21 novembre 1881. Lettre d’Emilie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_21_novembre_1881&oldid=42833 (accédée le 6 décembre 2024).

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