Lundi 1er juillet 1878

De Une correspondance familiale


Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann)


original de la lettre 1878-07-01 pages 1-4.jpg original de la lettre 1878-07-01 pages 2-3.jpg


Paris 1er Juillet 78

Mon cher Papa,

Suivant mon habitude j’ai oublié dans ma dernière lettre de te dire que oncle nous avions fait ta commission à oncle[1] et que le jour même après son cours et ses examens il avait été à l’exposition voir les fameux fauteuils ; il les a trouvés assez pratiques et va aller aujourd’hui au magasin pour en acheter un, car hier les boutiques étaient toutes fermées. On lui a fait près de 300 F mais en sa qualité de médecin il espère avoir une forte diminution.

Que Paris était drôle hier, mon Papa chéri ! Nous t’avons bien regretté car c’était une fête[2] vraiment belle et curieuse à voir. Nous nous sommes bien amusés je t’avoue ; bon oncle nous a consacré toute sa journée et nous l’avons employée tout entière à nous promener.

D’abord nous avons pris notre omnibus et nous avons été sans bouger jusqu’à Batignolles nous avons de la sorte traversé tout Paris : la rue de Rivoli, le palais Royal, l’avenue de l’Opéra, les boulevards étaient assez beaux mais toute leur décoration consistait en drapeaux de toutes les nations attachés aux fenêtres il n’y avait là rien de nouveau ni d’original ; ce que nous voulions voir c’étaient les quartiers populeux aussi sommes nous revenus à la maison Blanche[3] par le chemin de fer de ceinture c’était un drôle de moyen qui nous a beaucoup amusées (Marthe[4] était aussi de la partie). A la maison Blanche nous voulons prendre un omnibus qui y passait jadis mais qui maintenant part d’Ivry ; nous allons donc à Ivry espérant qu’il nous ferait prendre le boulevard d’Italie mais l’animation commençait déjà à y être trop grande et la police a ord arrêté notre voiture pour lui indiquer un autre chemin. Nous sommes descendus au Jardin et nous avons été à pied explorer notre quartier ; la rue Mouffetard était ravissante, on dit même que c’était une des plus jolies de Paris, et je le crois ; d’immenses guirlandes de feuillages, de papier découpé, d’étoffes tricolores la traversaient dans tous les sens le tout était arrangé avec un goût exquis ; chaque fenêtre même les plus pauvres aux 5e et 6e étages avait des lanternes, des guirlandes, on voyait que chacun avait travaillé à faire quelque chose qui ne ressemblât pas à celle du voisin et l’ensemble était charmant, nous ne pouvions pas nous en aller ; toutes les rues qui y aboutissent (rue Neuve Saint-Médard, Gracieuse et autres) si laides en temps ordinaire étaient parées avec beaucoup de goût. Tout était tricolore hier, personne qui n’ait eu, soit une cocarde, soit un ruban ou un bouquet aux trois couleurs, les chiens mêmes avaient leur petit drapeau flottant au-dessus de leur collier et le petit coq blanc du tailleur de la rue Cuvier avait même aussi revêtu l’uniforme national ; on lui avait teint la queue en bleu et attaché des petites manchettes rouges aux pattes.
Le soir nous avons d’abord regardé le feu d’artifice de la lucarne du premier où oncle nous avait arrangé une petite estrade et d’où nous voyions très bien puis nous sommes encore sorties avec oncle et tante[5] nous avons été jusqu’au Panthéon mais au-dessous son illumination au gaz était bien moins jolie que les guirlandes de lanternes vénitiennes qui se balançaient rue Mouffetard ; nous voulions y retourner encore mais la foule y était devenue si compacte qu’on ne pouvait plus circuler. Alors nous sommes redescendus rue Cuvier place Jussieu où il y avait un bal champêtre c’était vraiment drôle. Dans tous les coins on chantait la Marseillaise et on tirait des pétards.
Nous nous demandions seulement pourquoi cette fête et de quoi se réjouissait-on ?

Adieu, mon Père chéri, maintenant que tu es bien au courant de nos actes d’hier autant au moins que cette [  ] [description] pourra t’y mettre, il ne me reste plus qu’à t’embrasser bien bien fort comme je t’aime
ta fille
Marie

J’embrasse de tout mon cœur bon-papa et bonne-maman[6].


Notes

  1. Alphonse Milne-Edwards.
  2. Fête nationale pendant l’Exposition.
  3. Le quartier de la Maison-Blanche, situé dans le 13e arrondissement actuel, était la partie nord de la commune de Gentilly, annexée à Paris en 1860.
  4. Marthe Pavet de Courteille.
  5. Aglaé Desnoyers épouse d’Alphonse Milne-Edwards.
  6. Louis Daniel Constant Duméril et son épouse Félicité Duméril.

Notice bibliographique

D’après l’original

Pour citer cette page

« Lundi 1er juillet 1878. Lettre de Marie Mertzdorff (Paris) à son père Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Lundi_1er_juillet_1878&oldid=55947 (accédée le 15 novembre 2024).

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