Dimanche 30 juin 1878
Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris)
Ma grosse Marie Chérie, je fais le paresseux, aujourd’hui Dimanche vous êtes en fête[1] & comme à Vieux-Thann il n’y a pas la moindre fête je trouve qu’en fêtant mes filles[2] je ne saurais mieux employer ma soirée. Il est déjà un peu tard, depuis quelques jours de si belles soirées je descends au Jardin après mon souper, un sécateur à la main & l’éternel cigare à la bouche. Je fais la toilette des rosiers & je rêve un peu au passé. Le Jardin est toujours bien tenu l’on s’y trouve si loin du monde entier, j’y suis si bien tout seul, que mes pensées ont tout loisir de faire des promenades rétrospectives.
Marie[3] & sa mère[4], avec bébé[5], devaient quitter demain matin mais voici la mère prise de névralgies & le départ est retardé de peu espère-t-on.
Bébé va bien, elle tient maintenant sa tête droite comme un grenadier & ne fait que rire dès qu’elle est au jardin ; mais aussi sait-elle se faire entendre lorsqu’elle est à la maison. ce qu’elle aime par-dessus tout c’est d’aller en voiture découverte.
Je vous ai dit que j’avais une lettre de votre tante Z.[6] qui m’a écrit en rentrant de vous voir. Elle était enchantée de vos deux mines, ce qui me rassure complètement car elle est généralement difficile sur ce point.
A voir les gamins patauger dans le canal & la rivière je me figurais que depuis quelque temps déjà vous aviez commencé vos visites à la Seine.
Mon oncle[7] est toujours dans le même état, bon appétit, ne souffrant pas beaucoup, mais il ne saurait marcher & même lorsqu’il est levé quelques heures, il est fort aise de retrouver son lit. Il prend cela encore avec bien de la patience & par moment le mot pour rire lui revient.
Mais surtout que votre Oncle[8] ne se presse pas à faire ma petite commission que je lui ai fait transmettre par Emilie. Rien ne presse, car en ce moment ce meuble ne servirait encore que fort peu. Votre Oncle a toujours tant à faire que j’ai quelque scrupule d’en avoir parlé & ne pas avoir attendu mon voyage prochain. Mais le pauvre vieil Oncle qui aime toutes les nouveautés, & pas mal curieux de savoir ce qui se passe au dehors, puis dans la Maison, qu’un fauteuil roulant ferait peut-être diversion. Je n’en ai pas parlé & serait une surprise. Je n’ai pas voulu limiter de prix en parlant de 200 F. Je n’ai aucune idée de ce qu’un meuble pareil peut coûter, & le prix n’est pas un obstacle.
Jules Heuchel est toujours dans l’attente de la liste des admissibles à Saint-Cyr, l’année passée la dite liste a paru dans l’officiel le 28 & il était persuadé que ce serait de même cette année.
Tout en travaillant à la maison, il devait dès demain retourner à Besançon s’il est admis à l’écrit ; mais ce retard le fait rester à la Maison, car s’il avait échoué ce qui est bien possible, il passerait son été auprès de ses grands-parents[9]. Généralement le temps donne ces listes, c’est sur quoi nous comptions. Il est possible que toutes vos fêtes auront fait oublier bien des choses. les jeunes gens sont bien informés par lettre, mais dans un mois seulement & ce serait trop faire attendre.
Cet après-midi j’ai voulu faire visite à sœur Bonaventure mais ne l’ai pas trouvée. Sœur Radegonde a toujours sa triste mine, je lui ai promis du bordeaux que je vais lui faire expédier demain. Un grand garçon de 13 ans[10] est mort dernièrement à l’orphelinat d’une méningite, c’était un bien grand chagrin pour toutes les sœurs. De là j’étais chez les Piquet, Adèle est malade & sa sœur[11] ne vaut guère mieux. Par contre je n’ai rien appris des Henriet[12] à Wattwiller. J’aurai à y aller pour affaires avec M. Lehmann[13] & je me propose une visite.
J’allais oublier ; le principal. cela m’arrive assez fréquemment, surtout depuis que je me crois vieux !
Paul Duméril est fiancé avec une demoiselle Mesnard[14] de Versailles, fille unique d’un juge[15] et l’on croit que le mariage se fera en 7bre mais le pauvre garçon doit quitter demain pour Moulins où il est pris pour quelques semaines, ce qui n’est pas agréable dans le moment.
Rien n’est officiel de ce nouveau projet de mariage, la demoiselle n’est pas jolie, mais bien élevée, a 21 ans, est riche, aussi faut-il voir le bonheur de la maman[16].
Nous ne savons rien des GeorgesDuméril[17] & ne saurions pas où les trouver car ils ne savaient pas eux-mêmes jusqu’où ils iraient ? Il doit faire bien chaud en Italie.
Il est 11 heures, cela ne vaut pas la peine de prendre une autre feuille de papier. Ce petit coin me suffit pour t’embrasser avec ta sœur.
ton père Charles Mertzdorff
Vous aviez beau temps pour la fête dont vous avez dû voir une petite partie.
Notes
- ↑ Fête nationale pendant l’Exposition.
- ↑ Marie et Emilie Mertzdorff.
- ↑ Marie Stackler, épouse de Léon Duméril, qui doit faire une saison à Albisbrunn.
- ↑ Marie Stéphanie Hertzog, veuve de Xavier Stackler.
- ↑ Hélène Duméril.
- ↑ Emilie Mertzdorff, épouse d’Edgar Zaepffel.
- ↑ Georges Heuchel (le « pauvre vieil Oncle » à qui Charles Mertzdorff veut offrir un fauteuil roulant).
- ↑ Alphonse Milne-Edwards.
- ↑ Georges Heuchel et son épouse Élisabeth Schirmer.
- ↑ Il s’agit vraisemblablement de Lorenz Mutung, décédé à Vieux-Thann le 11 juin 1878, à l’âge de 12 ans, né à Goldbach.
- ↑ Joséphine Piquet.
- ↑ Louis Alexandre Henriet et sa famille.
- ↑ Charles Xavier Lehmann.
- ↑ Paul Duméril épouse Marie Mesnard le 9 septembre 1878.
- ↑ Louis René Auguste Mesnard.
- ↑ Probablement Elise Marie Gabrielle Suzanne Cheurlin, épouse de Louis René Auguste Mesnard, la mère de Paul étant décédée.
- ↑ Georges Duméril est en voyage de noces avec Maria Lomüller.
Notice bibliographique
D’après l’original
Pour citer cette page
« Dimanche 30 juin 1878. Lettre de Charles Mertzdorff (Vieux-Thann) à sa fille Marie Mertzdorff (Paris) », Une correspondance familiale (D. Poublan et C. Dauphin eds.), https://lettresfamiliales.ehess.fr/w/index.php?title=Dimanche_30_juin_1878&oldid=39626 (accédée le 21 novembre 2024).
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